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Transcription du document CH AEG Mss. hist. 21, f. 119-123

Premier sermon publiquement fait dans Geneve par Maitre Antoine Froment au milieu de la ville en la place du Moulard,
1533

Dieu eternel pere de toute misericorde, tu as promis de donner à tes enfans tout ce qu’ils te demanderont en foy au nom de ton fils Jesus Christ nostre Seigneur, sans rien leur refuser moyennant que ce soyt chose juste et raisonnable. Et si as toujours exaucé les tiens, t’invoquans en toutes leurs necessite et oppression. Tu cognois maintenant Seigneur et père, ce qu’est besoin à ce pauvre peuple mieux que luy ni moy, tu vois qu’ils sont brebis errantes et desvoyées de la droite voye et de tes sentiers qui menent et conduisent ton troupeau à vie eternelle, estans en tenebres et captivité d’erreur et ignorance et dangers de mort et ruine perpetuelle. Et pourtant il est plus que necessaire qu’ils oyent ta voix et ta parole, par laquelle desormais ils soyent dresséz et conduits en la cognoissance de leur salut. Et combien que nous tous ayons esté ingrats de te cognoistre pour nostre seul père, et celuy que tu as envoyé Jesus Christ ton propre fils, l’exposant et livrant à la mort ignominieuse pour nostsre redemption et pour estre nostre seul sauveur advocat et maistre au moyen dequoy nous ne sommes pas dignes de lever les yeux au ciel pour te faire quelques requestes. Toutesfois Seigneur tu nous a promis que toutes fois et quantes que le povre pecheur se retirera à toy au nom de ton fils Jesus Christ tu l’exauceras car tu ne veux point la mort et confusion des povres pecheurs mais plustost qu’ils les convertissent et vivent. Et si ne demandes pas qu’ils demeurent toujours sous cette grande tyrannie de l’Antechrist, sous la main du diable et de ses serviteurs qui sont les faux prophetes ennemis et adversaires de ta sainte parole contre laquelle ils ne cessent de batailler par les fausses doctrines et inventions humaines controuvées de leurs testes, ne taschans à autre chose que à ruiner et dissiper ton œuvre, ainsy que Satan leur maistre a fait dès le commencement du monde. Ains[mais] il est certain Seigneur que tu veux en ce temps qu’ils en soyent delivréz et retiréz [je dis] et de toutes tenebres d’idolatrie erreur et mensonge par vraye repentance en foy en ton St Evangile parquoy nostre bon père qui vois ce povre peuple ainsy aveuglé et conduit par les aveugles, tellement qu’ils sont tous tombéz dans la fosse de perdition, ne peuvent estre relevés si ce n’est par ta bonté et misericorde. Il te plaira de les relever, les illuminant par ton St Esprit, pour ouir et recevoir ta Ste parole en leur ouvrant les yeux de leur cœur, et les oreilles de leurs entendements afin qu’ils en puissent faire leur profit et recognoistre leurs fautes. Et n’ayes pas regard à leurs pechéz et iniquitéz mais seulement à l’obeissance de ton fils Jesus Christ, acceptant sa mort et passion pour toute satisfaction et recompense. Et puis qu’il t’a pleu Seigneur m’envoyer à ce peuple pour leur donner à entendre la Ste volonté et la voye de leur salut sans l’avoir mérité, il te plaira aussy par ta bonté infinie et selon tes promesses m’en faire ceste grace de me donner l’intelligence de ta Ste parole et à eux d’ouir et recevoir ce que tu mettras en la bouche de ton serviteur et ambassadeur combien qu’il soit indigne de faire une telle et si grand ambassade. Mais puis qu’il t’a pleu ainsy de m’eslire à ceste fin, comme tu as accoustumé de faire et [?] des choses foibles de ce monde pour confondre les grandes, je suis seur Seigneur que tu le feras en me donnant force, constance et sagesse, à laquelle tes adversaires ne puissent contredire ne y sachent resister afin que ta vertu et puissance soit monstrée en ce vaisseau infirme et que par ce moyen ta verité soit manifestée, non seulement en ceste ville mais part tout le monde, car autrement ne seroit possible à ton serviteur de subsister en la présence de tant de gens et d’une si grande multitude d’adversaires, s’il ne te plaisoit le fortifier. Monstre doncques maintenant Seigneur je te prie combien ta puissance est grande et comme tu as plus de force et vertu que Sathan ne les siens, et que ta puissance n’est pas comme celle des hommes, ottroye moy dis-je ceste mesme demande que je te presente au nom de ton fils bien aymé Jesus Christ nostre Seigneur. Or suis je certain que tu m’exauceras, car tu ne refuses rien de ce qu’on te demande en foy. Et pourtant O Seigneur tu vois quel est le cœur de ton serviteur qui te requiert humblement ceste grace, te suppliant tres affectueusement qu’il te plaise nous faire cheminer sainctement et purement comme tes enfans, et nous faire perseverer jusques à la fin. Nous te prions doncques tous ensemble comme nostre bon maistre Sauveur et Redempteur Jesus Christ nous a apprins en disant tous de cœur humblement Nostre père qui es  aux Cieux.

La priere faite il leut dans le livre du nouveau Testament au chappitre septieme de l’Evangile selon St Matthieu ce texte: Donnez vous garde des faux prophetes qui viennent à vous en vestemens de brebis, et par dedans sont des loups ravissans, vous les cognoistrez à leurs fruits.

Et après fit le sermon tel que s’ensuit.

Nostre Seigneur Jesus Christ vray Dieu et vray homme, conceu du St Esprit et né de la vierge Marie, cognoissant les choses lesquelles devoyent advenir à ses Apostres et à nous finalement, avant sa mort les enseignoit et exhortoit d’estre sages et prudens comme serpens et simples comme colombes, afin qu’ils se donnassent garde des faux prophetes qui devoyent venir à eux en vestemens de brebis et de ceux qui estoyent desja au monde, donnant à entendre que les faux prophetes et l’Antechrist ne viendroyent pas en face hideuse aux hommes ou se disans estre des trompeurs, des des loups ravissants et mangeurs de peuple, mais la couleur de saincteté et en la plus belle apparence du monde, de sorte que les enfans de Dieu mesmes y seroyent deceus si possible estoit, tant sera belle et colorée de sainteté leur doctrine leur vie et conversation. Car ils seront vestus dit-il de peaux de brebis, ils auront leur deffence et bouclier des sainctes escriptures mal entendues et interpretées à leur fantasie. A ceste cause, nostre Dieu ne veut pas avoir un peuple fol ni escervellé, mais qu’il ait une bonne prudence pour scavoir discerner et cognoistre les esprits s’ils sont de Dieu ou non, qu’ils sache faire difference de la doctrine de Dieu à celle des hommes, et des vrays prophetes, d’avec celle des faux et de l’Antechrist. Car celuy qui n’a cette prudence, et ne fait une telle difference, il mesprise le conseil de Jesus Christ qui dit qu’on se donne garde des faux prophetes, et si n’est pas prudent comme serpent, ains[mais] est plustost un fol semblable aux porceaux qui ayment mieux sentir et manger les choses puantes et vilaines, que les honnestes et odorifferantes. Or il estoit commandé tres expressement en la loy de Moyse de faire difference des bestes nettes aux non nettes, c’est à dire des bestes qui n’estoyent point deffendues, et celles desquelles estoit deffendu d’en manger par la loy comme du pourceau et des autres bestes qui avoyent l’ongle fendu et ne ruminoyent point. Si ainsy est donques que en la loy de Moyse Dieu a eu esgard aux bestes, voulant son peuple discerner d’icelle voire se garder d’en manger, qui estoit seulement une ceremonie et deffence observée par certain temps, principalement pour entretenir le peuple d’Israel en ses exercices, qu’il ne s’addonnast à autre service qu’aux commandements et ceremonies ordonnées de Dieu comme naturellement les hommes y sont enclins. Car autrement iamais ne penseroyent avoir assés satisfait à leur devoir, s’ils n’avoyent inventé quelque service de nouveau à Dieu, autre que le sien, comme s’il prenoit plaisir a estre servi à nos fantasies. Mais s’il est ainsy dit que cela soit requis aux ceremonies commandées pour un temps, par plus forte raison devons nous scavoir discerner et cognoistre les choses que nostre Dieu nous a commandé en ses sainctes escriptures pour estre observées à jamais, d’avec ce qu’a esté inventé par les hommes afin que nous sachions si ce que nous faisons luy est plaisant et agreable ou non. Car il nous est ainsy estroitement deffendu de servir Dieu selon les traditions et doctrine des hommes, qu’il estoit prohibé en la loy de manger des bestes non nettes, et encore davantage, d’autant que nous ne devons rien adiouster ne diminuer à ce que Dieu nous a baillés. Et mesmes quant un Ange du ciel nous viendroit dire autrement, nous n’y devrions adiouster foy, ne l’ouir ne croire à ses paroles. Il nous faut doncques avoir la prudence du serpent, qui combien qu’il ne soit qu’une beste brute, a toutesfois en soy une telle astuce et prudence de fermer les oreilles pour ne point ouir la voix de l’enchanteur, afin qu’il ne soit enchanté. Et neantmoins on le voit changer sa vieille peau en certain temps. Que devons nous faire pour obvier que ne soyons deceus et finalement venions à tomber en ruine et perdition eternelle en suivant la fausse doctrine controuvée des hommes, que nous soyons sages et bien adviséz pour nous en prendre garde selon le conseil de Jesus Christ, qui nous en a admonnesté que nous fermions les oreilles de nostre cœur pour n’estre point seduits et trompéz par les faux prophetes ministres de l’Antechrist, que nous cognoissions leur doctrine n’estre point de Dieu mais des hommes. Et pourtant que nous les fuyons et evitons comme basilics qui nuisent non seulement de presence, mais aussy de veüe, estans encores bien loin et escoutons la parole de nostre bon pasteur Jesus Christ nostre Seigneur seul Sauveur et Redempteur, nous arrestant à icelle, et l’ensuivant en toute humilité et obeissance, sans decliner ni à dextre ni à senestre. Despouillons nostre vieille peau et vestons la nouvelle comme le serpent, c’est à dire que nous soyons fait nouvelles creatures, estans regenerés par l’esprit de Dieu, mortifiant nostre vieil homme qui est la chair, la concupiscence, peché, idolatrie, blaspheme, paillardise, rapine, hypocrisie, mensonge, orgueil, ambition, avarice, qui est racine de tout mal avec la fausse doctrine de l’Antechrist et des siens. Que nous soyons vertus de nouvel homme ascavoir de Jesus Christ pour cheminer selon ses sentiers, en toute simplicité et rondeur de bonne conscience, en saincteté et justice tous les jours de nostre vie, puis qu’il a pleu à ce bon Dieu nous faire la grace de nous recevoir et adopter au nombre de ses enfans par le moyen et faveur de nostre Seigneur Jesus Christ. Car il ne nous serviroit de gueres d’ouir et entendre l’Evangile, si nous ne venions à changer nos meschantes vies, ne de cognoistre les faux prophetes, si nous ne venions à les eviter, non plus que d’avoir la cognoissance des bestes venimeuses et d’habiter touiours avec elles ou avoir l’experience du venin et ne se garder d’en manger iceluy. Certes qui auroit telles cognoissance et ne s’en garderoit, seroit incontient jugé voire des plus fols et idiots temeraires et plus que incensés. Mais non seulement Jesus Christ admoneste ses Apostres et Disciples de leur donner garde des faux prophetes, d’estre prudens comme j’ay dit, mais aussy il veut qu’on soit simples comme colombes, non pas d’une simplicité de folie ou d’ypocrisie monastique de bigots. Ains[mais] d’une simplicité de cœur, car nostre Dieu veut que nous l’ayions sans fiel ni amertume. C’est que nous soyons doux et debonnaires ainsy que dit l’Apostre St Paul. Soyez enfans de malice et non de sens, vrayment si nous cheminons en telle simplicité de vie facilement nous vaincrons nos ennemis et eviterons les faux docteurs, car c’est la voye plus seure et plus breve que nous puissions tenir, et les plus seures armures pour nous donner garde des faux prophetes et les vaincre. Et en ce faisant nous suivions la doctrine et exemple de nostre sauveur Jesus Christ, qui par sa douceur et benignité a vaincu les cours de ses ennemis et adversaires les scribes et pharisiens que nous ne soyions donc point addonnéz à battre ni à frapper à tuer ne à brusler ne par nostre main ne par la main de Pilate ou d’Herode, comme font aujourdhuy les tyrans et adversaires de la parole de Dieu et de son Evangile. Mais que icelle nous soit un souverain remede, et les principales armures pour nous deffendre des faux prophetes et contre Satan l’Antechrist et le monde, voire pour les ruiner et abbattre du tout comme aussy c’est un glaive trenchant des deux costéz qui frappe jusques au plus profond des cœurs et au-dedans des mouelles, faisant la division de l’ame et de l’esprit tellement qu’il faut que tout y obeisse soit au ciel et en la terre.

CH AEG Mss hist 32, f. 119-123.

Premier sermon d'Antoine FromentCH AEG Mss hist 32, f. 119


Les Archives d’Etat de Genève conserve dans un Recueil de copie d’actes et de documents relatifs à l’histoire de Genève une transcription de la première prédication prononcée en janvier 1533 par Antoine Froment au Molard (mss.hist 32). Datant probablement du XVIIe siècle, la transcription suit, en modernisant et en développant certaines tournures, le récit qu’en a fait, Froment lui-même, dans sa chronique manuscrite des Actes et Gestes merveilleux de la cité de Genève. Dans ce manuscrit conservé aux Archives (mss.hist.5), rédigé dès 1549 par Froment, ce dernier relate l’installation de la Réforme à Genève en se mettant en scène dans les actions qu’il a menées, à l’image de ce premier sermon public qui est un instant de dévoilement pour la communauté adepte des idées nouvelles à Genève. À la suite d’une prière d’ouverture au Père miséricordieux à qui il demande de lui accorder la force de parler, il fait la lecture de Mt 7,15 et construit sa prédication sur la thématique des faux-prophètes qu’il faut se garder de suivre et qu’il faut avant tout apprendre à reconnaître. Dans la transcription du XVIIe siècle, dont nous présentons un important extrait aux visiteurs, le compilateur se fait le rapporteur de l’action de Froment et parle, le plus souvent, à la troisième personne là où Froment avait employé la forme personnelle. Il place cette prédication dans la suite des événements et émotions de l’année 1533.

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