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L’Escalade


Affiche de l'exposition

 

Les Archives d’Etat pouvaient-elles se tenir à l’écart des nombreuses manifestations organisées en 2002 pour célébrer le quatre-centième anniversaire de l’Escalade? Evidemment non. L’attachement de notre maison à cet événement fondateur de la conscience nationale se montre chaque année, soit dans le cercle restreint du personnel, soit à l’égard du public: car même si les Archives d’Etat ne sont pas associées systématiquement chaque année aux festivités orchestrées par la Compagnie 1602, chacun sait à Genève que l’on trouve dans les archives de la République les documents les plus fondamentaux sur cette nuit mémorable, en commençant par le constat opéré le lendemain matin du 11 décembre 1602 dans le registre du Conseil, jusqu’au traité de Saint-Julien du 21 juillet 1603, qui mit fin provisoirement aux hostilités.

Est-ce à dire que les Archives d’Etat possèdent tous les documents? Dans un précédent numéro de la revue de la Compagnie 1602, la soussignée a fait l’inventaire non seulement des ressources, mais aussi des lacunes constatées dans les séries confiées à sa garde. Si les séries de correspondance diplomatique, de titres juridiques, de registres du Conseil, de registres de baptêmes et de mariages sont complètes, en revanche on déplore la disparition d’un important registre de justice: celui du Consistoire; d’un registre des opérations dirigées par le Conseil militaire créé pour l’occasion; et surtout du mythique «Livre des morts» pour la période de 1600 à 1608, qui contenait donc la liste des citoyens, bourgeois et habitants de Genève tués lors de l’attaque nocturne de la cité. Qu’un tel volume, qui existait encore à la fin du XVIIIe siècle, ait été soustrait des Archives, démontre à la fois le fétichisme et le manque de sens civique du collectionneur inconnu qui se l’est approprié.

D’autres lacunes, telles que les «trous» dans les inventaires d’armes et de munitions ou dans les comptes de dépenses pour les fortifications à cette époque névralgique, sont plus préoccupantes encore: le budget militaire de Genève était-il si restreint, et la ville était-elle si mal préparée, malgré les avertissements nombreux qu’elle avait reçus? Ou bien les collectionneurs ont-ils aussi sévi dans ces catégories de documents?

Mais plutôt que de se lamenter sur les lacunes de la documentation, les auteurs de la présente exposition ont voulu montrer les richesses que recèlent les Archives d’Etat sur la nuit de l’Escalade, son déroulement, ses suites diplomatiques et les résonances dans la vie quotidienne des Genevois autrefois et aujourd’hui, en particulier la place éminente qu’occupe le rituel de la commémoration dans la vie genevoise.

Cela est paradoxal: en effet, l’ article 22 du Traité de Saint-Julien précise que «tous actes d’hostilité survenus dès le mois de décembre de l’année dernière, la mémoire desquels et de toutes aigreurs demeurera à jamais esteinte et abolie; et tous entrepreneurs et perturbateurs du repos public seront punis et chastiés comme infracteurs de la paix». Donc le «devoir de mémoire» dont aujourd’hui on nous rebat les oreilles, n’existe tout simplement pas à l’époque de l’Escalade. Ce type de disposition, destiné à assurer la paix entre les anciens belligérants, figure d’ailleurs dans la plupart des traités de paix de cette époque, comme par exemple l’Edit de Nantes.

Or, si l’on envisage les divers aspects de cette commémoration, reflétés par la présente exposition, on constate qu’il s’agit là d’une manifestation profondément ancrée dans la conscience des Genevois, qu’ils soient de souche ou d’adoption: cela à tel point que dès l’année suivante, le Conseil a dû réprimer les manifestations publiques de joie populaire, accompagnées de chansons injurieuses pour le duc de Savoie, et donc contraires à la lettre et à l’esprit du Traité de Saint-Julien. De plus, la Vénérable Compagnie des Pasteurs, tout en organisant des services d’action de grâces, s’est toujours opposée à ce que l’on célèbre la mémoire des défunts; et, observant que l’Eglise protestante de Genève ne célébrait même pas Noël – contrairement aux autres églises réformées – les pasteurs jugeaient inopportun de remplacer Noël par une fête profane. Donc, les sphères officielles de la vieille Genève, pour des raisons politiques et religieuses, non seulement n’ont pas encouragé la commémoration de l’Escalade, mais encore l’ont réprimée. Et les documents officiels n’apportent guère d’éléments à la compréhension ethnologique du phénomène.

En revanche, comme on pourra s’en rendre compte par les vitrines 11 et 12, ainsi que par celles consacrées à la Course de l’Escalade, les ressources des archives et des collections privées témoignent concrètement de l’attachement de toute la population à cette célébration. De plus, cette exposition montre l’intérêt porté par la direction des Archives à l’apport des cercles privés, et l’utilité de nos travaux d’inventorisation et de communication pour la «culture» de l’Escalade, tant par les historiens de métier que par le grand public.

En effet, un des points forts de l’exposition, le tableau des descendants de la Mère Royaume, est dans la droite ligne de ce que nous avons présenté ces derniers mois sur la généalogie et l’état civil. Grâce au travail patient et compétent de M. Roger Rosset, archiviste d’Etat adjoint, et à sa maîtrise des nouvelles technologies de communication, non seulement cette liste a pu être établie et reçoit tous les jours de nouveaux compléments, mais encore les personnes concernées ont pu entrer en contact et constituer cette association des descendants de la Mère Royaume dont on parle ces jours dans la presse. C’est ainsi que les documents d’état civil conservés dans les Archives font vivre la tradition et renforcent l’attachement des Genevois à leur cité.

Nous voudrions encore relever, au chapitre de la géopolitique et de la topographie militaire, l’importance des documents présentés dans les vitrines 1 à 5 et 13 à 19. Le contenu de ces vitrines montre que le terrain historique est déjà bien labouré, mais que de nouvelles ressources documentaires attendent peut-être de nouvelles études: les plans et les projets des fortifications au XVIe siècle, de la fameuse «enceinte des Réformateurs», conservés dans la collection des Pièces historiques, témoignent des efforts consentis à l’époque héroïque de la Réforme pour fortifier la ville. Surtout, les vues de Genève à l’époque de l’Escalade et les anciennes cartes de la région provenant de la collection Dumur, acquise l’année dernière par les Archives d’Etat, manifestent enfin au public la ténacité et le patriotisme de ce collectionneur passionné, qui a constitué à titre personnel un des plus importants ensembles de documents iconographiques concernant Genève, conservé jusqu’alors en mains privées. Cette acquisition, qui enrichit le patrimoine culturel de l’Etat et qui comble une lacune de nos Archives, permet d’envisager un renouvellement des travaux sur la topographie et la cartographie relatives à Genève. En présentant ces quelques pièces, nous donnons un premier aperçu de la richesse de cette collection, et nous disons notre reconnaissance au Conseil d’Etat, qui a facilité cette acquisition, et à Mme Véronique Probst, archiviste assistante, qui a exécuté dans un temps record la vérification, le conditionnement et l’inventorisation détaillée de cette collection.

Nous ne saurions terminer cette introduction sans remercier tous ceux qui se sont dépensés pour la présente réalisation, en particulier la commissaire de l’exposition, Mme Martine Piguet, archiviste, M. Jacques Barrelet et M. Roger Rosset, archivistes d’Etat adjoints, et Mme Véronique Probst, archiviste, qui ont contribué de manière décisive à la conception des vitrines et à la recherche des documents, et MM. Philippe Longchamp et Pierre Morath, pour la mise au point des vitrines consacrées à la course de l’Escalade. Notre gratitude va également à l’ensemble du personnel des Archives, qui a montré à nouveau son engagement dans cette entreprise, que nous poursuivons ensemble depuis plus de vingt ans, pour faire vivre ce dépôt.

Genève, en ce début de novembre 2002.

Catherine Santschi
Archiviste de l’Etat

1. Contexte 1564-1602


Les dernières décennies du XVIe siècle sont une période politiquement très tendue pour la jeune République protestante. Le Traité de Lausanne de 1564 se conclut par la restitution à la Savoie des territoires conquis par Berne en 1536 en venant au secours de Genève, c’est-à-dire des bailliages de Gex et de Ternier et Gaillard ainsi que de Thonon. Genève se trouve ainsi dès 1567 encerclée par les terres du duc de Savoie. Cette confrontation directe avec l’ennemi influencera dès lors toute la politique extérieure de la République jusqu’à la fin du XVIe siècle.

Du point de vue religieux, Genève est une enclave réformée en pays catholique, au moment où Rome est en pleine «reconquête de ses paroissiens», plus particulièrement dans le Chablais par l’intermédiaire de Claude de Granier, évêque de Genève-Annecy, puis de son successeur François de Sales.

1. Carte du territoire protestant des environs de Genève, après les conquêtes des Bernois et avant la mission de St François de Sales, 1536 à 1598 (AEG, Archives privées 247/V/123). [Non reproduit]

Cette carte, élaborée pour l’ouvrage de J. Gaberel, Histoire de l’Eglise de Genève, t. 1, 2e éd., 1858, montre bien l’exiguïté, l’éparpillement et l’isolement territorial des possessions genevoises, sans commune mesure avec son rôle de capitale rayonnante du protestantisme et de cité de refuge pour les réformés persécutés, dont la Savoie s’imaginait ne faire qu’une bouchée.

Entre 1564 et 1580, le duc Emmanuel-Philibert de Savoie réorganise ses Etats, tout en conservant pour objectif ultime la reconquête de Genève. A son décès en 1580, son fils Charles-Emmanuel lui succède. Il est résolu à s’emparer de Genève par tous les moyens et, dès 1582, les pressions savoyardes sur la ville s’accentuent. On assiste dès lors à la conclusion de nouvelles alliances dans la région: en 1581, la Savoie renouvelle son traité d’alliance avec les cantons catholiques et, en 1584, les Genevois concluent un Traité de combourgeoisie avec les cantons réformés de Berne et de Zurich.

AEG, P.H. 2294
Traité de combourgeoisie entre Genève, Berne et Zurich, 30 août 1584 (AEG, P.H. 2094)

Par cette alliance, les trois cantons se promettent assistance mutuelle en cas de guerre et Genève s’assure ainsi jusqu’en 1798 l’appui et la protection des deux plus puissants cantons de Suisse.

AEG, P.H. 2094, sceau de Berne

Sceau de Berne (AEG, P.H. 2094)

2. La guerre de 1589-1593 et les traités de Vervins (1598) et de Lyon (1601)


En 1585, la Savoie, appuyée politiquement par la papauté et le roi d’Espagne, qui soutiennent cette entreprise de reconquête catholique, exerce un blocus affamant Genève en empêchant son approvisionnement en blé. Le conflit se transforme en une guerre ouverte entre 1589 et 1590, puis en une campagne d’escarmouches locales autour de la ville, sans victoire déterminante pour les protagonistes. Genève cherche des appuis auprès de ses alliés suisses, mais aussi chez le roi de France, afin de garantir sa souveraineté territoriale et confessionnelle.

1. Carte de la Suisse, après 1585, par G. Mercator (gravure aquarellée) (AEG, Archives privées 247/IV/7). [Non reproduit]

La Confédération des XIII cantons rassemble quatre cantons réformés, Zurich, Berne (avec le Pays de Vaud), Bâle et Schaffhouse, sept cantons catholiques, Uri, Schwytz, Unterwald, Zoug, Lucerne, Soleure et Fribourg, et deux cantons bi-confessionnels, Glaris et Appenzell. S’y ajoutent les bailliages communs d’Argovie, du Rheintal et du Tessin – catholiques – et de Thurgovie – protestant – ainsi que des territoires alliés, dont Genève, le Valais et les Ligues grisonnes.

Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses, t. 2, 1983, p. 35
2. Carte de la Confédération des XIII cantons montrant la situation confessionnelle en 1601. En rose les protestants, en bleu, les catholiques (tiré de Nouvelle histoire de la Suisse et des Suisses, t. 2, 1983, p. 35).

Après la conclusion du Traité de Vervins en 1598 entre la France et l’Espagne et du Traité de Lyon en 1601 entre la France et la Savoie, une trêve s’installe dans la région genevoise. Mais le roi de France Henri IV a, par lettres patentes, inclus implicitement Genève dans la paix, au grand dam de la Savoie. Dès lors, celle-ci se prépare militairement à envahir Genève. Des incidents éclatent dans les villages ayant appartenu avant la Réforme au couvent de Saint-Victor et au chapitre de la cathédrale Saint-Pierre, à propos des tailles et de la célébration de la messe. Au printemps de 1602, Albigny, le chef des troupes savoyardes, envoie des espions prendre des mesures au pied des murailles des fortifications genevoises. L’attaque est imminente mais, malgré les avertissements, Genève se laissera surprendre.

3. Lettres patentes d’Henri IV, 13 août 1601, avec le grand sceau du roi (AEG, P.H. 2279). [Non reproduit]

« […] scavoir faisons que nous, bien mémoratifs dudit Traité de Vervins et des déclarations qui furent faictes lors de la conclusion d’iceluy que soubz le nom des alliez desdits Treize Cantons, laditte Ville et territoire de Genève demeurerait comprise, mectant aussi en considération que par ledit accord de Lyon, […] disons et déclarons, par ces présentes, qu’en faisant ledit accord dudit mois de janvier dernier avec nostre dit frère le duc de Savoye, nous avons entendu […] ladite Ville et territoire de Genève estre comprinse en iceluy, comme elle estoit audit Traitté de Vervins […]»

3. Le système défensif


A l’époque de l’Escalade, la ville bénéficie de deux lignes de fortifications: l’ancienne enceinte médiévale qui se confond à plusieurs endroits avec des maisons particulières et celle dite des Réformateurs, commencée au XVIe siècle. Cette dernière enceinte comprend des boulevards (appelés par la suite bastions) dont l’avancée doit permettre de contrôler tout le périmètre des murailles. Sans le bastion de l’Oie, il aurait été impossible aux Genevois de tirer au canon sur les échelles des Savoyards. Pour sa défense, la ville peut encore compter sur une garnison d’environ 300 soldats professionnels, chargés de la surveillance nocturne des fortifications et des patrouilles extérieures, ainsi que sur les milices bourgeoises, peu entraînées, que l’on estime à un millier d’hommes.

AEG, P.H. 2374
1. Au lendemain de l’Escalade, les autorités, conscientes des faiblesses des fortifications, entreprirent de perfectionner l’enceinte de Genève. Voici un plan de 1607 attribué à l’ingénieur français Adam du Temps. Les fortifications telles qu’elles étaient en 1602 sont aquarellées en brun foncé. Les autres ouvrages en clair sont des projets (AEG, PH 2374).

2. Détail d’une gravure sur la nuit de l’Escalade, datée de 1667 environ et que l’on attribue à François Diodati. On remarque bien l’enceinte médiévale (en rose) et l’enceinte des Réformateurs (en bleu). [Non reproduit]

3. Parties encore visibles des fortifications de l’Escalade qui entourent le Palais Eynard, dans le jardin des Bastions: le bastion Saint-Léger, dont il ne subsiste que la moitié (en haut), et le bastion Calabri ou Miront (en bas). Le bastion Saint-Léger porte le numéro 15 sur la gravure de Diodati. Le bastion Calabri est juste à sa gauche. [Non reproduit]

4. Rôle de la compagnie du capitaine Blandano, en 1595, avec la paie mensuelle des soldats. Ce capitaine Blandano est probablement le même qui fera partie des personnes récompensées pour s’être bien battues lors de l’Escalade (AEG, Militaire G 10, 1595). [Non reproduit]

5. On reste étonné de la facilité avec laquelle les Savoyards ont pu approcher Genève et escalader ses murailles sans que l’alerte ne soit donnée plus tôt. La lettre du major Sarasin, écrite peu de temps avant l’événement, semble montrer un certain relâchement dans la discipline de la garnison (AEG, P.H. 2295 bis). [Non reproduit]

Vignette de la gravure attribuée à F. Diodati, vers 1667
Vignette de la gravure attribuée à François Diodati, vers 1667

4. Itinéraire


Mais par où diable sont-ils donc passés?

On ignore quel a été le cheminement exact des troupes du duc de Savoie à travers l’actuel territoire genevois. Se basant sur des sources écrites, des données topographiques ou toponymiques, certains chercheurs ont néanmoins proposé plusieurs parcours probables.

Nous vous soumettons ici celui de Jean-Jacques Deriaz, un habitant de Conches passionné par l’histoire de sa région.

Plan de l'attaque

Le tracé du parcours présumé des Savoyards est reproduit sur un plan de Jacques-Barthélemy Micheli du Crest, dressé vers 1730 environ. Si le paysage a peu changé depuis 1602, les fortifications ne sont en revanche plus les mêmes. Les numéros renvoient aux photos des lieux tels qu’on peut les voir aujourd’hui.

1. Le château des Terreaux, en France, juste avant la douane de Fossard. Le Conseil de Genève mentionne dans sa séance du 16 décembre 1602 que des munitions et des blessés ont été laissés aux Terreaux par les Savoyards.

2. Juste après le château des Terreaux, le terrain descend en pente douce vers le Foron. C’est à cet endroit que les Savoyards franchissent la rivière.

3. Ayant passé le hameau de Fossard, la troupe évite celui de Villette en coupant à travers champs.

4. Après avoir franchi la Seymaz, les Savoyards se dirigent vers l’Arve en traversant le grand champ situé actuellement entre le pont de Sierne et l’annexe du Musée d’ethnographie.

5. La troupe commence à longer l’Arve. Le champ que l’on voit sur la photo est situé à peu près en-dessous de l’actuel bureau postal de Conches.

Vers le Foron
6. Dernier tronçon subsistant aujourd’hui d’un ancien chemin le long des falaises de l’Arve en direction de Champel.

7. Les Savoyards empruntent le chemin de l’Escalade pour se diriger vers Plainpalais. Ce nom figure déjà sur un plan du XVIIIe siècle. Cette dénomination est-elle due à une tradition orale de l’événement qui s’est transmise de génération en génération ou simplement à la forte pente du chemin?

8. Quai Ernest-Ansermet. Le gros des troupes s’arrête à Plainpalais tandis que le groupe de Savoyards chargé de pénétrer dans Genève poursuit sa route.

9. Rue du Stand. Le bruit du Rhône et des moulins ainsi que de fortes haies couvrent l’approche des Savoyards.

10. On situe le point d’attaque des Savoyards à peu près au milieu de la rue de la Corraterie.

5. L’attaque


L’opération de l’Escalade fut minutieusement préparée. Des plans manuscrits de Genève, dressés avant 1602 par des espions savoyards et qui se trouvent aujourd’hui aux Archives de Turin sont là pour en témoigner. La décision de porter l’attaque sur le front de Plainpalais, et plus précisément au rempart de la Corraterie, ne fut pas le fruit du hasard: une partie de la ville moins surveillée, parce que mieux fortifiée, un mur relativement bas, de six à sept mètres, la proximité du Rhône et de ses moulins dont le bruit couvre l’approche des assaillants sont autant d’éléments qui, sans doute, motivèrent ce choix.

L’objectif principal du «commando» de Savoyards qui franchit les murailles était de se rendre maître de la Porte-Neuve et de la tenir le temps nécessaire pour la faire sauter. L’opération réussie, le gros des troupes, stationné à Plainpalais, devait investir la ville en pénétrant par cette brèche.

AEG, P.H. 1860 bis

1. En 1560, Bartholoméo Passone fut envoyé à Genève par le duc de Savoie afin de lever secrètement un plan des fortifications de Genève. Satisfait de son travail, le duc voulut ensuite qu’il espionnât l’intérieur de la ville. Passone ayant refusé la chose, il fut fait prisonnier mais parvint à s’évader. Se sentant en danger, il adopta la religion réformée et se réfugia à Genève où il fut accepté en 1568 comme habitant. C’est à la demande du Conseil de Genève que Passone refit de mémoire le plan qu’il avait présenté au duc de Savoie huit ans auparavant (AEG, P.H. 1860 bis).

2. La tâche de faire sauter la Porte-Neuve revenait au pétardier, soldat spécialisé dans les explosifs. La grande difficulté était de plaquer le pétard à l’horizontale contre la porte et de le faire tenir, ceci sous le feu des Genevois. On voit ici l’armure renforcée de ce soldat d’élite qui se trouve au Musée d’art et d’histoire. [Non reproduit]

3. Le pétard dit de l’Escalade, exposé également au Musée d’art et d’histoire, ne pèse pas moins de 26 kilos et 600 grammes, vidé de sa poudre. Un fois qu’Isaac Mercier eut fait tomber la herse, il n’était plus possible de le plaquer contre la porte. [Non reproduit]

4. Liste des personnes récompensées pour s’être bien battues pendant la nuit de l’Escalade. On notera qu’Isaac Mercier, malgré son geste décisif, n’est que faiblement récompensé (AEG, P.H. 2296). [Non reproduit]

5. Isaac Mercier, soldat de métier, est né à Genève en 1573, d’un père originaire de Lorraine. Bien que peu récompensé après l’Escalade, il bénéficia toujours de la bienveillance du Conseil, qui lui accorda gratuitement la bourgeoisie en 1603 et lui donna régulièrement de petites sommes d’argent «en souvenance du bon service qu’il rendit à l’Escalade». Isaac Mercier mourut dans son lit à l’âge de 63 ans, le 14 novembre 1636, à son domicile du Grand-Mézel. [Non reproduit]

6. Conséquences


Immédiatement après les événements du 12 décembre, les cantons alliés de Genève s’empressent d’écrire au Conseil de la ville pour exprimer leur indignation et leur colère face à la trahison du duc de Savoie et promettre leur aide militaire à la cité encore menacée par les troupes savoyardes demeurées aux alentours.

AEG, P.H. 2288

1. Lettre du Conseil de la ville de Berne du 15 décembre 1602. Tout en se félicitant de l’heureuse issue de l’attaque du 12 décembre et rappelant leur «mutuelle alliance» les Bernois recommandent vivement aux Genevois de «surveiller de plus en plus et prendre garde à votre tuition et deffence, spécialement de sonder par espion diligemment l’intention de l’ennemy…» (AEG, P.H. 2288)

2. Lettre des députés des villes réformées de Berne, Zurich, Bâle et Schaffhouse depuis la diète tenue à Aarau le 20 janvier 1603. Zurich et Berne, soucieux de préserver la situation d’équilibre confessionnel de la Confédération et tenus par leur engagement de 1584, font part de leur décision d’envoyer 1000 hommes pour protéger leurs combourgeois. Ces troupes, promptement rassemblées, arriveront à Genève dès le 4 février 1603 (AEG, P.H. 2301). [Non reproduit]

La tentative déloyale – «le pernicieux dessein», ainsi que le décrit le Conseil de Genève dans ses lettres aux gouverneurs des provinces limitrophes – du duc de Savoie Charles-Emmanuel contre la ville, entreprise sans déclaration de guerre préalable, et son échec déshonorant eurent un retentissement dans toute l’Europe.

Le roi de France Henri IV, qui souhaitait garantir l’indépendance de Genève et ne pas rompre la trêve instaurée dans la région par le Traité de Lyon de 1601, écrit aux autorités genevoises le 8 janvier 1603.

AEG, P.H. 1896
3. Lettre d’Henri IV à ses
«tres chers et bons amis les sindicq et Conseil de la Ville de Genève» pour les féliciter d’avoir déjoué l’offensive du duc de Savoie et les assurer de son aide en cas de nouvelle attaque: «Je vous diray que sy ledit duc vous assiège à force ouverte ou autrement, je vous promets d’employer toute ma puissance et sy besoin est, je n’espargneray ma propre personne pour vous défendre et secourir contre luy […]» (AEG, P.H. 1896)

7. Opérations militaires


1. Du point de vue militaire, les Genevois entrent en campagne dès le tout début de 1603 contre les troupes savoyardes qui stationnent dans les environs de la ville. Pour financer l’entretien de ces opérations, des contributions de guerre sont levées dans les villages de la région et sur certains notables. Le compte-rendu de cette imposition extraordinaire est consigné dans le registre tenu par le trésorier de guerre nommé par le Conseil, Philibert Blondel (AEG, Militaire Fa 14, f. 27 v° et 28). [Non reproduit]

La participation des secours bernois et zurichois aux opérations militaires de février à juillet 1603 au moment de la conclusion du Traité de Saint-Julien, est bien connue par les documents conservés dans les archives genevoises et dans celle des cantons suisses. Cependant, grâce à un manuscrit de la Burgerbibliothek de Berne, nous avons le témoignage «de l’intérieur» et fort réaliste d’un des soldats du contingent zurichois, sous la forme du journal d’Hans Ulrich Kündig.

Journal d'Hans Ulrich Kündig

5. Après avoir énuméré les ambassadeurs confédérés envoyés pour les négociations du Traité de Saint-Julien et les officiers des troupes bernoises et zuricoises, H. U. Kündig commence son récit comme suit: «L’an 1603 […] le lundi 31 janvier, les trois bannières confédérées […] partirent d’abord de Berne pour la défense et la protection de ceux de Genève, à cause de la perfide attaque savoyarde qui s’était produite le 12 décembre 1602, de nuit; elles sont heureusement entrées dans Genève le vendredi 4 février, à cinq heures de l’après-midi, et elles ont été reçues et accueillies avec beaucoup de joie et de réjouissance» (Journal d’Hans Ulrich Kündig, Burgerbibliothek Bern, Mül. 555, f. 5, tirage M. Delley, édition et traduction française C. Santschi).

6. Les soldats confédérés, d’après ce qui avait été décidé à la diète d’Arau, devaient assurer la défense de la cité de l’intérieur et ne s’aventurer à l’extérieur qu’en cas de nécessité, car les gouvernements bernois et zurichois ne souhaitaient pas entrer en guerre ouverte avec la Savoie. Le journal du soldat H. U. Kündig ne donne ainsi qu’une vision partielle des combats, décrivant le retour des troupes dans Genève, avec leurs prisonniers et leur butin gagné sur terre ou sur le lac: «Après cela, ils firent une nouvelle sortie contre un bourg fortifié, ramenèrent prisonniers un prêtre et six paysans, et les conduisirent en prison. Peu de jours après, ils firent une nouvelle sortie et furent absents quatre jours, si bien qu’on les crut tous perdus […] Lorsqu’ils rentrèrent et que les Genevois l’apprirent, il y eut de grandes clameurs et le peuple accourut pour savoir ce qu’il leur était arrivé. Ils apportaient de bonnes nouvelles, et ramenaient avec eux deux nouveaux bateaux […] qu’ils avaient pris à l’ennemi; de ce butin, on a pensé que chaque soldat aurait quarante florins.» (Id., f. 8). [Non reproduit]

Le Traité de Saint-Julien

Dès le mois de mars 1603, le duc Charles-Emmanuel de Savoie, voyant la rapidité de réaction des alliés de Genève et la fermeté de l’attitude d’Henri IV, propose des pourparlers de paix. Les négociations, âprement discutées article après article, se déroulent à Saint-Julien. Grâce à l’arbitrage de certains cantons suisses, un traité est signé le 21 juillet 1603.

Pour la première fois, le duc de Savoie reconnaît la Seigneurie de Genève comme un Etat souverain. Outre cet aspect politique, Genève y gagne des avantages économiques et militaires. Elle sera dorénavant traitée sur un pied d’égalité non seulement par son menaçant voisin mais aussi par les grandes puissances européennes.

AEG, P.H. 2318

7. Traité de Saint-Julien, 21 juillet 1603: on y voit la signature de Charles-Emmanuel de Savoie avec en bas et de gauche à droite, les sceaux de Glaris, Bâle, Soleure, du duc de Savoie – le sceau de Schaffhouse a disparu – d’Appenzell Rhodes-Intérieures et Appenzell Rhodes-Extérieures (AEG, P.H. 2318)

8. Récit de la prise de Saint-Genix d’Aoste en Dauphiné par les Genevois, conquête qui faillit compromettre les débuts des pourparlers de paix de Saint-Julien : «Le 20 mars, les Genevois entrèrent dans le territoire du duc, et lui prirent […] une ville appelée Saint-Genis. Ils durent en venir à bout par la ruse et en courant de grands dangers, puisqu’ils avaient chevauché seulement de nuit, se cachant de jour dans des bois et des défilés, et de nuit, ils escaladèrent la ville en poussant de grands cris, pour effrayer les habitants de cette petite ville, qui se rendirent aussitôt. Là-dessus, ils envoyèrent un message à Genève […] et alors les Genevois y envoyèrent une forte garnison […] et leur donnèrent aussi un prédicant pour leur annoncer l’Evangile.»

Saint-Genix sera rendu à la Savoie selon les termes du Traité de Saint-Julien. (Journal d’H. U. Kündig, f. 10, Burgerbibliothek Bern, Mül. 555, f. 10, tirage M. Delley, édition et traduction C. Santschi). [Non reproduit]

8. Anecdotes


La politique intérieure de Genève pendant le XVIIe siècle sera marquée par les suites de cet épisode exceptionnel: tout d’abord, le syndic de la Garde, Philibert Blondel, accusé de négligence et soupçonné d’intelligence avec l’ennemi, sera blanchi dans un premier temps, puis condamné et exécuté en 1606, après qu’on l’aura accusé d’avoir commandité l’assassinat dans la prison de l’Evêché d’un détenu qui lui aurait servi d’intermédiaire dans ses rapports avec d’Albigny. La procédure ayant disparu, il est difficile aujourd’hui de connaître la vérité sur cette affaire. D’autres encore, tel Pierre Canal, fils du héros de l’Escalade, seront convaincus de trahison et condamnés.

1. Procès contre Pierre Canal, exécuté en 1610. Sommaire de la procédure (AEG, P.C. 2013). [Non reproduit]

En 1610, le duc de Savoie, qui n’a pas encore renoncé à s’emparer de Genève, rassemble une fois de plus des troupes autour de la ville, mais doit les retirer dès 1611 devant l’attitude de Berne et de la France. Mais il n’a pas négligé d’envoyer un espion inspecter les murailles.

2. Procès contre Bernardin Monneret, de Nantua, surnommé «La Rudesse»: le 27 août 1612, deux soldats de la garnison genevoise remarquent un individu longeant le fossé le long des murailles du côté de Saint-Antoine. Arrêté et interrogé, le personnage reconnaît, après avoir été soumis à la question, avoir mesuré les murs des fortifications de la ville. Il avoue également s’être livré à la même activité en 1602, avec le capitaine Brunaulieu et avoir participé à l’Escalade. C’est d’ailleurs en sautant des remparts pour s’enfuir qu’il s’est estropié et que depuis lors, il boite. Il fut condamné et exécuté par pendaison le 3 septembre 1612 (AEG, P.C. 2148). [Non reproduit]

Enfin, dans un registre moins grave, on trouve dans la série des procès criminels genevois des affaires dans lesquelles on punit les personnes qui, dès les premiers jours après l’Escalade, répandent en ville des chansons injurieuses pour l’une ou l’autre partie, soit qu’elles se moquent de la déroute des Savoyards en 1602, soit qu’elles critiquent les autorités de la République. Le Traité de Saint-Julien stipule bien que ces propos menacent de compromettre la paix récemment instaurée et les autorités genevoises se doivent de sanctionner ces «perturbateurs du repos public».

AEG, P.C. 2e série 1944

3. En 1603, on instruit un procès contre un imprimeur de Thonon, Marc Delarue, arrêté à Genève et accusé de faire circuler en ville une chanson imprimée en Savoie, diffamatoire envers la République. La sentence le condamne à être fouetté et banni, les exemplaires de la chanson sont brûlés (AEG, P.C. 2e série 1944)

4. L’Escalade pèsera sur la vie genevoise bien des années après les événements du tout début du XVIIe siècle: en 1773, le Conseil enquête sur la rumeur concernant une chanson injurieuse pour la Maison de Savoie qui circule en ville, et condamne à la saisie des estampes bien connues de Diodati représentant l’assaut, imprimées par un graveur nommé Caille. Les autorités, une fois de plus, veulent éviter de jeter de l’huile sur le feu, alors que le Traité de Turin de 1754 a enfin régularisé leurs relations avec la Savoie (AEG, P.C. 12524, copie manuscrite de la chanson). [Non reproduit]

9. Récits


Les péripéties de l’assaut de Genève par les troupes savoyardes dans la nuit du 12 au 13 décembre 1602 nous sont parvenues tout d’abord par les documents officiels, tel celui qui se trouve dans le registre du Conseil de l’année 1602 ou dans le registre de la Compagnie des pasteurs de la même année, très proches dans leur compte-rendu de l’attaque.

image du texte de l'escalade

1. Procès-verbal de la séance du Petit Conseil du dimanche 12 décembre 1602, intitulé en marge «Surprise». On remarque dans la liste des conseillers présents ce jour-là, le vide laissé dans la liste de droite à la place du nom de Jean Canal, l’une des victimes de l’Escalade (AEG, R.C. 97, f. 192)

2. Récit de l’Escalade contenu dans le registre de la Compagnie des pasteurs lors de la séance du 20 décembre 1602 (AEG, Cp Past. R 4, f. 75 v et 76). [Non reproduit]

3. Dans ce registre de baptêmes et mariages de la paroisse de Saint-Gervais entre 1594 et 1608, à la date du 12 décembre 1602, le pasteur, face aux événements exceptionnels que vient de vivre la cité, rompt l’ordre habituel des inscriptions pour donner une courte relation de l’Escalade, soulignant, comme les conseillers, l’aide de la providence divine qui a voulu que Genève soit épargnée et délivrée de son ennemi. On y trouve également la mention du premier baptême célébré à Saint-Gervais après l’Escalade, celui de «Françoise, fille de Louys Dugyne et d’Antoina, sa femme», née le 8 décembre et baptisée le 12 (AEG, E.C. Saint-Gervais 4, f. 74). [Non reproduit]

Comme on l’a vu précédemment, les autorités genevoises s’empressent très rapidement après l’Escalade de mettre au courant leurs alliés et les différentes cours européennes avec lesquelles elles sont en relation.

4. Le Conseil écrit le 14 décembre 1602 une lettre à l’archevêque d’York, relatant les événements et implorant qu’il ait «commisération de ce petit estat guecté d’un lyon très puissant et furieux […]» et demandant des secours en argent (AEG, P.H. suppl. 193 bis). [Non reproduit]

5. Récit de l’Escalade, anonyme (idem). [Non reproduit]

10. Récits imprimés


Il existe de nombreuses relations, genevoises ou non, de l’Escalade, car la tentative du duc de Savoie pour s’emparer de la Rome protestante a considérablement frappé les esprits de l’époque. Nous présentons ici une petite sélection de ces récits imprimés.

1. Vray discours de la miraculeuse délivrance envoyée de Dieu à la ville de Genève, le 12. jour de décembre 1602, édité en 1603 à Genève (AEG, 86/Bc/11, p. 44-45). [Non reproduit]

2. Journal d’Esaïe Colladon. Mémoires sur Genève, 1600-1605. Ce médecin genevois, recteur de l’Académie (1562-1611), a donné l’un des premiers comptes-rendus de l’Escalade dans son journal des années 1600 à 1605, publié par Th. Dufour en 1883 (AEG, 3310/20, p. 4-5). [Non reproduit]

Vray discours, édition zurichoise

3. Edition zurichoise du Vray discours, éditée en 1603 (coll. privée)

4. Récit de l’Escalade par le pasteur Simon Goulart, édité par Th. Dufour en 1880 (AEG, 3310/21, p. 10-11). [Non reproduit]

5. Récit pour l’imprimeur Jean le Preux, 1603, réimprimé à Genève par Fick en 1878 (AEG, 3310/43). [Non reproduit]

6. Récit de Melchior Goldast, alors jeune juriste thurgovien en séjour à Genève de la fin de 1599 au début de 1603 et témoin oculaire de l’Escalade, publié par F. Gardy en 1903 (AEG, 3310/11, p. 55-54). [Non reproduit]

7. Récit de l’un des continuateurs de Jean de Serres, auteur de l’Inventaire général de l’Histoire de France, 1612, édité de 1891 (AEG, 3310/25, p. 12-13). [Non reproduit]

8. Récit du professeur Ch. Borgeaud pour la Compagnie de 1602, en 1928 (AEG, 86/Gg/10b, p. 2-3). [Non reproduit]

11. Commémorations (1)


Commémorations XVIIe-XVIIIe

Immédiatement après la nuit du 11 au 12 décembre 1602, les Genevois ont eu conscience d’avoir, en préservant leur indépendance et leur foi, «joué leur destin». La première commémoration, un jeûne décrété par les autorités civiles et religieuses, eut lieu dix jours après l’Escalade. On voulait remercier Dieu pour sa protection et célébrer sa louange. Puis, malgré les réticences de la Compagnie des Pasteurs, hostile au culte des morts, on décide dès 1603 d’apposer sur le mur nord du temple de Saint-Gervais une plaque sur laquelle sont gravés les noms des victimes de l’Escalade.

1. Monument funéraire aux morts de l’Escalade, gravé par Jean Bogueret, frère de Nicolas, l’architecte tombé le 12 décembre. La plaque est ici dans son état actuel, surmontée d’un fronton et posée sur un socle, le tout ajouté en 1825 (Centre d’iconographie genevoise VG, fonds Georges: neg; photographe: M. Delley, 1985). [Non reproduit]

Dès décembre de l’année suivante, la tradition de commémoration religieuse de l’Escalade s’instaure, dans le cadre d’une cérémonie au temple, où l’on chante des psaumes d’action de grâces. Ce caractère austère, que le Conseil et les pasteurs s’efforceront de maintenir tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, sera très rapidement accompagné de débordements populaires. Les pièces de théâtre, chansons satiriques, déguisements et banquets provoquent l’ire de la Vénérable Compagnie.

2. Registre du Consistoire, 11 décembre 1673: «A esté représenté par Monsieur Turretin, ancien, que le jour de l’Escalade, depuis quelques années en ça, au lieu d’un jour d’action de grâces et sanctification, est employé à des desbauches et divertissement par de grandes assemblées qui se font. Advisé que Messieurs les Pasteurs exhortent le peuple en chaire afin que ce jour de resjouissance et action de grâces ne se termine par des excès et desbauches.» (AEG, Consistoire 61, f. 158). [Non reproduit]

3. Les excès perturbent même le fonctionnement de l’Hôpital, qui doit adapter son règlement: en 1757, «le directeur de Normandie a proposé qu’étant à présent chargé du soin de la maison, il conviendroit d’en tenir la grande porte fermée le jour de la fête de l’Escalade, à l’heure du souper des pauvres, suivant l’usage pratiqué depuis deux ans, pour prévenir les désordres, le tumulte et les excès où l’on s’est porté ce jour-là, quand l’entrée de la maison étoit alors libre à tout le monde. Sur quoi, opiné, on a aprouvé la proposition […]» (AEG, Archives hospitalières Aa 103, p. 180, 7 décembre 1757). [Non reproduit]

En 1782 pourtant, la célébration de l’Escalade est supprimée en raison des troubles politiques: on ne pouvait plus, pour d’évidentes considérations diplomatiques, se gausser de la Savoie venue récemment rétablir l’ordre à Genève. Les cultes dans les temples et le cortège ne seront rétablis qu’en 1793, au nom des idéaux républicains.

AEG, R Publ. 9

4. Placard affiché en ville annonçant le cortège du 12 décembre 1794 (AEG, R. Publ. 9, f. 52)

12. Commémorations (2)


Commémorations et folklore, XIXe et XXe siècles

La commémoration officielle du 12 décembre 1602 est à nouveau supprimée dès 1798. Pourtant, pendant toute la première moitié du XIXe siècle, la tradition populaire de fêter l’Escalade subsiste, sous la forme de repas de famille et de déguisements des enfants. Enfin, on assiste à une production florissante de nouveaux chants sur la fameuse nuit. Mais ni culte commémoratif, ni cortège officiel: il faut être attentif à ne pas blesser les nouveaux citoyens catholiques des communes réunies au canton de Genève après 1815.

Pourtant, tout une partie de la population genevoise souhaite ardemment redonner à la fête une dimension patriotique: dès 1855, le pasteur J. Gaberel propose une série de conférences sur l’Escalade, en 1867 et 1868, un grand cortège est organisé. La tradition du bris de la marmite date de la même époque. Les aspects de la commémoration se concrétisent encore par l’installation de deux monuments: une fontaine au bas de la rue de la Cité en 1853, et une stèle funéraire dans le temple de Saint-Gervais.

CIG, fonds Georges
1. Stèle de marbre noir du maître maçon Jéquier, installée en 1896 dans le temple de Saint-Gervais, à la mémoire des victimes de l’Escalade. Le culte des héros de l’Escalade est désormais institutionnalisé (CIG VG, fonds Georges: neg; photographe: M. Delley, 1985)

Les témoignages littéraires, aussi bien dans un genre grandiloquent et soucieux de patriotisme que dans le registre de la dérision ou de la satire, abondent dans la deuxième moitié du XIXe siècle.

2. Petit florilège de publications et recueil manuscrit de chansons. [Non reproduit]

3. L’Escalade, depuis toujours, se fête en famille, déguisés ou non! (AEG, Archives de famille 1re série, Favre 56). [Non reproduit]

4. Toujours soucieuses de ménager les susceptibilités, les autorités genevoises ont adopté dès 1877 un règlement de police interdisant les déguisements sur la voie publique. Toujours en vigueur, il est temporairement abrogé pendant les fêtes de l’Escalade pour les citoyens de moins de 12 ans mais, heureusement, cette interdiction n’est pas appliquée à la lettre […] (AEG, Archives privées 207.1.49). [Non reproduit]

Parmi les sociétés les plus actives sur la place en matière de festivités de l’Escalade, la Société de Zofingue, «société universitaire et patriotique», se distingue particulièrement depuis sa création en 1823.

AEG, Archives privées 192, coll. Covelle 6

5. Manuscrit d’une Chronique de la Mère Royaume pour la fête de 1874, avec la partition de la chanson (AEG, Archives privées 192, coll. Covelle 6)

AEG, Archives privées 192

6. Bon pour le banquet de l’Escalade, 1910 (AEG, Archives privées 192)

7. Menu d’Escalade 1913 (AEG, Archives privées 192). [Non reproduit]

En 1898, un groupe de citoyens genevois, ayant à coeur de rendre une certaine tenue à la fête devenue une forme de carnaval, créent l’Association patriotique genevoise pour la rénovation de l’Escalade. Celle-ci se donne pour principal objectif la commémoration du trois centième anniversaire en 1902. Ces festivités, accompagnées d’un culte et d’un grand cortège historique, ancrent définitivement la tradition commémorative de l’Escalade dans la cité.

De nos jours, la Compagnie de 1602, fondée en 1926, orchestre la fête, devenue l’événement fondateur du patriotisme genevois. A partir du milieu des années 1950, son caractère religieux et politique s’estompe, au profit d’une journée de liesse populaire – et sportive – qui s’inscrit dans un mouvement général de besoin d’identification régionale.

8. Album de photographies du cortège du printemps 1903. La manifestation de 1902 avait été repoussée en raison des troubles dus à la grève d’octobre de la même année. Le report de la date permit de mettre l’accent sur la commémoration du Traité de Saint-Julien de juillet 1603 (AEG, 3310/56). [Non reproduit]

9. Menu du repas de l’Escalade du Touring Club suisse, 1971 (AEG, Archives privées 207.1.44). [Non reproduit]

10. Commémoration et actualité politique: à l’issue de son élection à la présidence de la Confédération, le 10 décembre 1998, la conseillère fédérale Ruth Dreifuss brise la marmite apportée par les autorités genevoises (Chancellerie d’Etat de Genève, service du protocole). [Non reproduit]

Vignette de la gravure attribuée à F. Diodati, vers 1667

Pastiches

AEG, 86/Eh/19

11. Numéro du 12 décembre 1957 de la Tribune de Genève (AEG, Bibliothèque, 86/Eh/19)

AEG, Archives privées 207.1.35

12. Pastiche du récit de l’Escalade par Paul Chaponnière, 1934 (AEG, Archives privées 207.1.35)

Documents divers

13. Tribune de Genève, 10-11 décembre 1955 (id.)

14. Construire, 8 décembre 1965 (id.)

13. Dame Royaume et sa descendance


Arbre de descendance de Catherine Cheynel, dite la mère Royaume développé sur les huit premières générations [non reproduit]

La descendance connue, issue des 14 enfants du couple Royaume, qui s’est formé en 1564 à Lyon, se monte actuellement à 1451 personnes dont plus de 750 seraient encore vivantes. Si le patronyme a disparu en 1722 avec le décès de Madeleine Royaume, les branches de Pierre et d’Etienna Royaume se poursuivent jusqu’à nos jours.

Ce résultat a pu être obtenu grâce aux travaux et recherches successifs de Louis Dufour-Vernes (1839-1909), Auguste Béziès (1869-1938), Berthe-Alice Werner-Flournoy (1881-1965), Eric Bungener (1953-), Sylvie Droin (1966-), Cyril Troyanov (1957-) et Roger Rosset (1952-). Les cases de couleur orange indiquent les unions qui ont donné lieu à une nouvelle génération. Cet arbre partiel de 6 mètres de long a pu être réalisé grâce à la collaboration de M. Lafontaine et du Service de géomatique.

Gravure attribuée à F. Diodati

Vignette de la gravure attribuée à F. Diodati, vers 1667

14. Topographie


Gravure de M. Bénard

1. Gravure de l’Escalade, par Michel Bénard.

Cette gravure, l’une des représentations les plus connues de l’Escalade, est due à un orfèvre établi dans la cité, Michel Bénard ; elle illustre l’ouvrage intitulé Vray discours de la miraculeuse délivrance envoyée de Dieu à la ville de Genève, publié en 1603. D’après G. Dumur, cette pièce est la seule à avoir «une réelle valeur documentaire». A noter que ce même M. Bénard avait déjà illustré plusieurs épisodes de la guerre de 1589-1590 entre Genève et la Savoie (l’exemplaire présenté ici est une impression tardive de 1843).

2. «Fortifications de Genève du côté du Sud-Ouest. Construites en 1543; remplacées en 1660 par les fortifications actuelles. Les portions tracées en rouge ont été relevées d’après la gravure de l’Escalade.»​ [Non reproduit]

Ce plan, dessiné à la plume et à la provenance inconnue, date du début du XVIIIe siècle et nous apporte un témoignage précieux sur les remparts «à escalader», ainsi que sur les reliefs et la topographie de la butte du côté de Plainpalais.

C’est d’ailleurs grâce à l’étude conjuguée de ce plan manuscrit, de la gravure de Bénard et des Registres du Conseil que Louis Blondel a pu établir son fameux Plan des fortifications de Genève à l’époque de l’Escalade.

3. Plan des fortifications de Genève à l’époque de l’Escalade, front de Plainpalais (AEG, Archives privées 247/V/107 b, a et c). [Non reproduit]

Ce plan, qui superpose l’emplacement des fortifications au tissu urbain contemporain, figure dans le l’ouvrage L’Escalade de Genève de 1602, édité en 1952. Cette planche montre non seulement l’importance du fossé, assez large quoique peu profond, mais surtout celle des fortifications: le bastion de l’Oye avançait jusqu’au milieu de l’actuelle Place Neuve.

15. Représentations (1)


AEG, Archives privées 247/I/8

1. Geneva urbs, représentation de l’Escalade dite «Disce Mori», 1602-1603. Eau-forte (AEG, Archives privées 247/I/8)

Ce plan cavalier – et très fantaisiste – de la ville est attribué à Matthias Quad (1557-1613), un collaborateur de Franz Hogenberg, graveur établi à Cologne. Le fait que l’aspect général de la ville corresponde à la réalité, alors que les «détails» sont erronés (confusion entre bastions et boulevards) ou inventés (tracé de l’Arve, églises et châteaux semés dans le paysage), tend à prouver que l’artiste ne connaissait pas les lieux mais avait recours à des plans et vues partielles.

Selon l’habitude médiévale, plusieurs épisodes sont représentés simultanément: nous voyons non seulement différents moments de l’attaque, mais aussi les Savoyards pendus au gibet et les têtes fichées sur des piques.

Les lettres capitales de DisCe MorI forment le chiffre romain MDCII, soit 1602.

2. Vraye représentation de l’Escalade entreprise sur Genève par les Savoyards et sa belle délivrance l’an 1602 de décembre, par F. Diodati, 1667. Gravure sur cuivre (AEG, Archives privées 247/I/16). [Non reproduit]

Cette planche, l’une des premières œuvres gravées de François Diodati (1647-1690), constitue sans doute l’illustration de l’Escalade la plus connue – et la plus souvent imprimée. Alors que la vue très étalée de la ville, prise du bois de la Bâtie, reprend et modifie les gravures de Chastillon et de Merian, une atmosphère bien particulière se dégage de l’ensemble de la pièce, grâce à son cadre de vignettes historiées. En effet, ces petites scènes narratives, où se mêlent des illustrations édifiantes et des scènes anecdotiques, inscrivent profondément l’Escalade dans l’histoire politique et religieuse.

3. Gravure signée A.L. 1615-1617. Gravure sur cuivre (AEG,  Archives privées 247/I/50). [Non reproduit]

La composition de cette planche rare montre une certaine maladresse qui fait penser à G. Dumur que le graveur s’est trouvé «trop à l’étroit dans le cadre qu’il s’était imposé». En effet, le développement vertical de la représentation est tel que la ville semble perchée au sommet d’une montagne. On peut aussi remarquer la difficulté du graveur à représenter le cours du Rhône et l’eau du fossé, alors qu’au premier plan figure une campagne de petites parcelles arborisées pleines de charme.

16. Représentations (2)


1. Vraye représentation de l’Escalade entreprise sur Genève par les Savoyards et sa miraculeuse délivrance, d’après F. Diodati, réimpression ancienne, gravure sur cuivre (AEG, Archives privées 247/I/32)

Cette planche, légèrement postérieure à 1667, reproduit la partie centrale d’une peinture à l’huile datée aux alentours de 1620 et dite «Vue aux banderoles». En resserrant la composition sur les remparts de Plainpalais, de la Tour de la Monnaie à la tour Baudet, les diverses scènes de l’attaque gagnent en lisibilité, le graveur n’a alors plus recours aux petites vignettes narratives. On peut aussi souligner la tentative assez réussie de représenter une scène nocturne, alors que les gravures précédentes donnaient plutôt l’impression de ciels orageux.

AEG, Archives privées 247/I/17

2. Représentation de L’Escalade entreprise par les Savoyards contre la Ville de Genève, le 12 décembre 1602, attribuée à P. Escuyer, 1823, gravure sur cuivre (AEG, Archives privées 247/I/17)

Dans cette gravure qui reprend fidèlement la planche précédente, l’artiste a élargi la vue de façon à embrasser les importants édifices que sont la tour de la Monnaie et St-Pierre. Leurs proportions, malheureusement, ne sont pas très heureuses: la tour, énorme, écrase littéralement le boulevard de l’Oye, tandis que St-Pierre apparaît bien petit et lointain. La scène est placée dans un cadre architectural orné de médaillons et faisceaux; dans les écoinçons, les quatre vignettes historiées ont plus une valeur d’exemple que d’épisode narratif.

17. Tour de la Monnaie


AEG, Archives privées 247/II/4

1. Défense de la Tour de la Monnoie, Annales de Genève, 1602, par Clérian et Charton, 1838 (AEG, Archives privées 247/II/4).

Cette planche, dont la composition et le dessin sont de Clérian, serait la première lithographie genevoise, due à l’imprimeur et éditeur Gabriel Charton. Il ne s’agit donc plus d’une gravure au trait, ce qui explique en partie l’effet de grain et de crayonné. Le choix de la dominante noir/jaune, assez criarde, se justifie par la scène nocturne. Le recours au format vertical, assez étonnant pour une représentation narrative, permet de montrer la porte de ville et les murailles depuis l’intérieur. Si les figures semblent raides et malhabiles, la représentation joue cependant assez agréablement du contraste entre l’architecture pesante et les scènes animées, pleines de bruit et de fureur.

18. Iconographie


AEG, Bibliothèque, 86/in-folio C/8

1. Epopée de l’Escalade, 1602-1902, par Nicolo Ansaldi, illustration de Godefroy, alias Auguste Viollier, 1902 (AEG, Bibliothèque, 3310/55).

2. Dépliant du cortège de juin 1903, illustré par Louis Dunki (AEG, Bibliothèque, 3310/3). [Non reproduit]

3. Casques et masques, spectacle d’Escalade par Laure Choisy, illustration de Noël Fontanet, 1938 (AEG, Archives privées 193.3/7). [Non reproduit]

AEG, Bibliothèque, 86/in-folio C/8

4. Ce fut l’an mil six cent et deux…, récit d’Escalade d’Albert-E. Roussy, illustré par Edouard Elzingre, 1952 (AEG, Bibliothèque, 86/in-folio C/8 ).

Pas d'Escalade pour le duc, collection privée

5. Prix souvenir, 10e course de l’Escalade, bande dessinée Pas d’Escalade pour le duc, texte et dessins d’ Exem, alias Emmanuel Excoffier, Ed. du Belvédère, Exem et Stade de Genève, 1987 (coll. privée).

6. Jeu de l’Oie de l’Escalade, illustré par Exem, édité par la Compagnie de 1602 en 1989 (coll. privée). [Non reproduit]

7. Prix souvenir, 17e course de l’Escalade, 3 décembre 1994, dessin de Poussin (coll. privée). [Non reproduit]

8. Bande dessinée bilingue Toby et l’Escalade, texte et dessins Jacqueline Cooper, 1997 (coll. privée). [Non reproduit]

9. Prix souvenir, 22e course de l’Escalade, 4 décembre 1999, dessin de Zep (coll. privée). [Non reproduit]

19. La Course de l’Escalade(1)


La Course de l’Escalade, mascarade au coeur de la Rome protestante

L’histoire de la Course de l’Escalade s’inscrit dans le cadre d’une double révolution: celle du sport pédestre populaire tout d’abord, engagée au début des années 1970; et celle aussi, plus transgressive, liée à la résurgence progressive d’une forme de carnaval au cœur de cette Genève protestante où ce type de célébration était formellement interdit depuis la Réforme.

Quelle relation peut bien exister entre la Course de l’Escalade et la commémoration de l’événement historique qui lui donne son nom? Très tôt, la victoire «militaire» de l’Escalade se double de célébrations profanes qui se sont enracinées dans les mentalités, en dépit des interdictions et des remontrances des pasteurs. Dans un Etat où toute fête religieuse est alors bannie depuis un demi-siècle, la commémoration de l’Escalade s’impose très vite et réintroduit la fête à Genève.

Progressivement, deux tendances de célébration vont s’opposer nettement jusqu’à représenter un véritable enjeu social. Il y a d’une part ceux qui veulent faire de l’Escalade une véritable fête patriotique: commémorative, digne et grave (avec culte, cortège et banquets); et d’autre part ceux qui entendent célébrer l’Escalade dans la liesse et d’une manière proche du carnaval ou du charivari.

En 1898, un groupe de citoyens fonde l’«Association patriotique genevoise pour la rénovation de l’Escalade», qui deviendra en 1928 la Compagnie 1602. Ces associations vont se donner pour tâche de «maintenir à la commémoration de l’Escalade le caractère de dignité patriotique qui lui sied et de stimuler le zèle de tous ceux qui veulent conserver les nobles traditions du passé.»

En 1960, une ordonnance du Conseil d’Etat n’autorisant les déguisements sur la voie publique lors des festivités (celles de l’Escalade en particulier) qu’aux seuls enfants de moins de 15 ans est promulguée en raison d’«atteintes à la solennité de la cérémonie de 1602». L’interdiction est reconduite en 1978, quelques jours seulement avant la première Course de l’Escalade…

En 1978, le nombre de coureurs déguisés est encore quasi inexistant à la Course de l’Escalade. Si les organisateurs de la course cherchent à lier leur événement à celui de la commémoration historique, c’est surtout dans l’espoir de donner une visibilité accrue à une manifestation jeune et méconnue. Après coup cependant, quelques témoignages sont venus contredire cette vision des choses. Comme celui de Jean-Louis Bottani, président du Comité d’organisation, qui dans le Nouveau Quotidien du 2 décembre 1994, déclarait: «Lorsque nous avons imaginé ce rendez-vous, il y a dix-sept ans, c’était d’abord pour faire un clin d’œil à Calvin. Nous voulions créer une autre fête, une sorte de contrepoids à la rigueur historique de la commémoration de l’Escalade.»

La tradition du déguisement ne s’est imposée que très progressivement lors de la Course de l’Escalade. Ce n’est qu’en 1985 que ce déguisement a été «reconnu», avant d’être institutionnalisé en 1991 par la création de l’épreuve de la Marmite. On peut raisonnablement penser que la Course de l’Escalade fut, et d’une certaine manière reste, un moyen de contourner l’interdit officiel de 1960 renouvelé en 1978. Car l’épreuve genevoise prolonge de manière inattendue et originale le long conflit ayant opposé depuis le XVIIe siècle les défenseurs de la commémoration solennelle et ceux de la fête humoristique.

En 1978, l’invention de la Course de l’Escalade avait été ressentie par la Compagnie 1602 comme une tentative de remise en question des valeurs traditionnelles. Finalement, c’est la population genevoise elle-même qui petit à petit réintroduira la mascarade spontanée de l’Escalade par l’intermédiaire du sport et de la course à pied.

1. Affiche de la 7e Course de l’Escalade (G. Ducimetière – 1984: la Course de l’Escalade et la célébration des événements historiques de 1602: accords et désaccords…

2. Lithographie d’Exem réalisée à l’occasion des 11e, 12e et 13e éditions de la Course (1988-1990): La Course de l’Escalade, une manière sympathique de bousculer les traditions.[Non reproduit]

3. Prix-souvenir de la 6e Course de l’Escalade (1983). [Non reproduit]

4. Prix-souvenir de la 19e Course de l’Escalade (1996). [Non reproduit]

5. Jour d’Escalade (photographies d’Eddy Mottaz). [Non reproduit]

20. La Course de l’Escalade (2)


La Course de l’Escalade, de la course populaire à l’événement populaire

Lors de sa création, en 1978, la Course de l’Escalade s’apparente aux autres courses pédestres du pays. Course populaire, on y distingue deux catégories de coureurs: les élites (coureurs invités par les organisateurs) et les populaires (les anonymes du peloton). Loin d’offrir la palette de possibilités qu’elle propose aujourd’hui à ses participants, l’Escalade est alors avant tout considérée comme un événement sportif. Bien que «populaires» et «élites» n’aient pas les mêmes moyens, il est implicitement entendu qu’ils poursuivent un seul et même objectif: la performance. C’est dans ce contexte qu’apparaissent les premiers déguisements. Ignorés par la presse sportive, ils ne sont alors considérés que comme une marque d’humour dans un monde résolument sérieux.

Lors de sa huitième édition, en 1985, la Course de l’Escalade change de visage: le phénomène du déguisement se diffuse à large échelle au sein du peloton et apparaît très vite comme un constituant identitaire de la manifestation. Ce qui ne va pas sans poser de sérieux problèmes organisationnels. En effet, comment concilier ces deux états d’esprits que résume d’une phrase un membre de l’organisation de l’époque: «Il y avait ceux qui couraient, et puis ceux qui s’amusaient»?

Ce qui apparaîtra très vite comme la meilleure des solutions voit le jour en 1991 avec la création d’une catégorie dont le nom fait directement allusion à la fête commémorative de la bataille de l’Escalade: la Marmite. Rompant avec les stratifications traditionnelles selon le sexe, l’âge ou encore le niveau de performance, cette catégorie offre la possibilité aux participants de se regrouper selon des critères familiaux ou d’affinité. Sa création marque le moment de l’institutionnalisation du déguisement, qui fait désormais entièrement partie de la manifestation. Du statut de «course populaire», l’Escalade acquiert ainsi celui d’«événement populaire» en offrant à ses participants la possibilité de courir selon la modalité qui leur sied: fête, santé et compétition en constituent désormais les trois valeurs phare.

Modèle de diversité, la Course de l’Escalade n’en demeure pas moins un tout cohérent. L’enquête menée auprès des coureurs a en effet permis de relever de nombreuses «transversalités», notamment entre les pôles festif (catégorie Marmite) et compétitif (catégorie Elite). C’est ainsi que trois quarts des coureurs de l’Elite déclarent considérer l’Escalade comme une fête. De leur côté, les déguisés de la Marmite semblent fortement marqués par l’identité de coureur, symbolisée par le port de la fameuse basket: bien qu’évoluant le plus souvent à l’allure du pas, seuls 5% d’entre eux renoncent à ce symbole suprême du coureur, lui préférant une chaussure s’intégrant au déguisement.

Circulation des états d’esprit entre les différentes sphères de la manifestation donc, mais aussi circulation des coureurs: non contents de devoir se cantonner dans une seule catégorie, certains d’entre eux n’hésitent pas à cumuler objectifs compétitif et festif en s’alignant dans deux catégories le même jour. C’est ainsi que se profilent des «voyageurs de contextes», capables de s’aligner dans leurs catégories respectives à la recherche d’une performance avant d’enfiler un déguisement pour s’aligner dans la catégorie Marmite. Pas moins de 15% des participants déclarent l’avoir déjà fait au moins une fois.

L’histoire de la Course de l’Escalade est donc celle d’une fête qui émerge dans le contexte hyper-codifié d’une course pédestre. Peut-être faut-il voir là l’expression d’un phénomène emblématique de nos sociétés modernes: orpheline de ses repères traditionnels, la fête carnavalesque ne peut exister qu’à la condition d’être encadrée par des structures fortes. Par les différents quadrillages qu’elle implique – quadrillage du temps, de l’espace et des rôles -, la course à pied offre précisément cette structure dont la fête a aujourd’hui besoin.

1. Weyermann-Tulu: la Course de l’Escalade, c’est aussi l’occasion de voir des athlètes de classe mondiale s’affronter dans le cadre somptueux de la Vieille-Ville. Ici la Suissesse Anita Weyermann aux prises avec l’Ethiopienne Derartu Tulu en 1996. [Non reproduit]

2. Déguisée dans peloton: résultant d’initiatives isolées, le déguisement sera considéré comme une «marque d’humour dans un monde sérieux» durant les sept premières éditions. [Non reproduit]​

3. Peloton de dos: la masse des anonymes sans visages, symbole fort de la manifestation.

4. Lune-Soleil Marmite: s’opposant aux courses d’«exclusion», la catégorie Marmite s’affiche comme une course d’«inclusion»: ce qui compte, c’est d’être ensemble. [Non reproduit]

5. Programme de la 16e Course de l’Escalade (illustration de F. Dumas et S. Lacroix, 1993): en proposant une véritable fête à la carte, où chaque participant à la possibilité de courir selon la modalité qui lui sied, la Course de l’Escalade fait sienne la célèbre devise de l’Abbaye de Thélème: «Fay ce que vouldras.» [Non reproduit]

6. Prix-souvenir de la 20e Course de l’Escalade (Roger Pfund, 1997): la Course de l’Escalade, temps de la performance? [Non reproduit]

7. Prix-souvenir de la 24e Course de l’Escalade (Pierre Wazem, 2001): la Course de l’Escalade, temps de la fête? [Non reproduit]

21. Bibliographie


Louis BLONDEL, «Les contributions de guerre imposées par les Genevois aux Savoyards après l’Escalade», dans Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, n° 6, 1935, p. 59-67.

Danielle BUYSSENS, Corinne WALKER, La belle Escalade de 1602, Genève, 2002.

Bulletin de la Compagnie de 1602, Genève, 1926, trimestriel.

C’était en 1602. Genève et l’Escalade: album publié à l’occasion du 400e anniversaire de l’Escalade, Genève, 2002 (Genava, nouvelle série, L)

Loraine DOMINICE avec le concours d’Uli WINDISCH, «L’Escalade de Genève», dans Présences, n° 35, 1988, p. 44-50.

Louis DUFOUR-VERNES, Descendance genevoise de la Mère Royaume. Complément à la brochure «La mère Royaume et sa marmite», Genève, 1881.

Louis DUFOUR-VERNES, «Un procès de presse en 1603. A propos d’une chanson savoyarde de l’Escalade», dans Bulletin de l’Institut national genevois, tome XXXII, 1894, p. 75-103.

Paul-F. GEISENDORF, Henri GRANDJEAN, Bernard GAGNEBIN et al., L’Escalade de Genève – 1602, Histoire et tradition, Genève, 1952.

Olivier FATIO, Béatrice NICOLLIER, Comprendre l’Escalade. Essai de géopolitique genevoise, Genève, 2002.

Luc VAN AKEN et al., Journal du temps de l’Escalade. Genève et le monde en 1602, sous la direction de Corinne WALKER et Bernard LESCAZE, Genève, 2002.

Philippe LONGCHAMP, Pierre MORATH, La Course de l’Escalade: miroir de son temps, héritière des siècles, Genève, 2002.

Liliane MOTTU-WEBER, Anne-Marie PIUZ, Bernard LESCAZE, Vivre à Genève autour de 1600, tome 1, La vie de tous les jours, Genève, 2002.

Sandrine ROUILLER, Bibliographie sélective de publications sur l’Escalade de 1602, Genève, 2002.

Catherine SANTSCHI, «Guerres de religion à Genève et autour de Genève à l’époque de l’Escalade», dans Escalade de Genève, 1602-1981, Recueil du 379e anniversaire, Genève, 1981, p. 245-265.

Catherine SANTSCHI, «Les Archives d’Etat et l’Escalade», dans Bulletin de la Compagnie de 1602, n° 313, 1997, p. 788-797.

Catherine SANTSCHI, «Journal de Hans-Ulrich Kündig, soldat du contingent zuricois envoyé à Genève après l’Escalade», dans Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, tome XV, 3e livraison, 1974.

Gustave VAUCHER, «Le procès d’un soldat savoyard de l’Escalade, Bernardin Monneret», dans Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, Genève, 1937, p. 241-254.

Corinne WALKER, avec la collaboration de Dominique ZUMKELLER, La Mère Royaume. Figures d’une héroïne, XVIIe-XXIe siècles, Genève, 2002.


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