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L’Escalade

La nuit du 11 au 12 décembre 1602 (21-22 décembre selon le calendrier actuel), les troupes du duc de Savoie Charles-Emmanuel, menées par le seigneur d’Albigny, tentent d’envahir Genève par surprise. En raison de la configuration de la cité-État protégée par des remparts, l’assaut doit en premier lieu se faire par escalade. Planifiée depuis plus d’un an à l’aide d’espions dépêchés dans la ville, l’attaque se déroule la nuit du solstice d’hiver, choisie pour son obscurité et sa longueur.

Casernés depuis quelques temps dans différentes places fortes, les mille deux cent à deux mille hommes, selon les sources, qui forment la troupe du seigneur d’Albigny convergent à Étrembières vers vingt-deux heures le samedi 11 décembre. Ils y retrouvent les trois cents soldats levés par Brunaulieu, le commandant de la garnison de Bonne. L’armée, composée principalement de Savoyards – avec un contingent de ligueurs français- gagne Genève après avoir progressé par Gaillard, Champel puis la Jonction en longeant stratégiquement l’Arve et le Rhône afin que le bruit du courant et celui des moulins masque le tintement des armes. Vers une heure du matin, la troupe stationne à proximité de l’hôpital des pestiférés (actuel cimetière des Rois). Le jésuite écossais Alexander Hume fait communier les soldats avant l’assaut.

À cette époque, la ville bénéficie de deux lignes de fortifications : l’ancienne enceinte médiévale qui se confond à plusieurs endroits avec des maisons particulières et celle dite des Réformateurs, commencée au XVIe siècle. Cette dernière enceinte comprend des boulevards (appelés par la suite bastions) dont l’avancée doit permettre de contrôler tout le périmètre des murailles. Pour sa défense, la République peut encore compter sur une garnison d’environ trois cents soldats professionnels, chargés de la surveillance nocturne des fortifications et des patrouilles extérieures, ainsi que sur les milices bourgeoises, peu entraînées, que l’on estime à un millier d’hommes.

Selon le plan établi, une avant-garde de trois cents hommes, menée par Brunaulieu, doit escalader la muraille de la Corraterie, puis faire sauter la porte de Neuve depuis l’intérieur, afin d’y faire passer le gros des troupes qui attend au dehors. Quant au duc de Savoie, il stationne un peu plus loin avec la cavalerie. Après avoir comblé le fossé des remparts avec des claies en branches d’osier, le « commando » escalade le mur de sept mètres à l’aide de trois échelles composées de segments démontables. Cependant, si la majorité de l’avant-garde parvient à franchir la muraille, à deux heures trente, l’alarme est donnée par deux sentinelles alertées par des bruits suspects. La Clémence (cloche de la Cathédrale Saint-Pierre), puis le tocsin sonnent, bientôt relayés par toutes les cloches de la ville. Sur le front sud de la cité, les combats s’engagent dans les rues. C’est alors qu’un soldat de la garnison genevoise, Isaac Mercier, parvient à abaisser la herse de la porte de Neuve, empêchant ainsi l’entrée du gros des troupes stationnées à l’extérieur des murs. La garnison et les milices bourgeoises – auxquelles des civils, dont des femmes, viennent prêter main-forte – chassent les assaillants, dont certains se précipitent délibérément par-delà les murs. Car en parallèle, les canons du Bastion de l’Oye brisent les échelles et entravent la fuite des Savoyards qui se retrouvent confinés dans l’espace séparant les deux enceintes de la ville.

Pour la Savoie, la tentative de conquête de Genève se solde par un cuisant échec. Les troupes du duc comptent entre 50 et 70 morts. Quant aux treize prisonniers, tous nobles, ils sont soumis à la torture judiciaire pour dénoncer d’éventuels traîtres genevois (question par estrapade) puis pendus le jour même. Fichées sur des pieux, leurs têtes sont ensuite exposées sur les remparts en direction de la Savoie jusqu’à la conclusion de la paix. La cité-État déplore pour sa part la mort de dix-sept de ses ressortissants (dix-huit selon les sources), dont quelques Genevois d’origine savoyarde.

Après quelques manœuvres diplomatiques infructueuses, le duc de Savoie se résout à signer la paix au Traité de Saint-Julien (11 juillet 1603). Il s’engage notamment à ne pas entretenir de troupes ni à construire de forts dans un rayon de quatre lieues autour de la ville. Au surplus, il reconnaît implicitement l’indépendance de Genève.

Contexte

Au-delà de l’événement mémorable qu’elle représente pour les Genevoises et Genevois, l’Escalade s’inscrit plus globalement dans le conflit que se livrent alors les grandes monarchies pour leur hégémonie en Europe. Au surplus, dans une ville devenue depuis Jean Calvin l’un des épicentres de la Réforme, la prise de la cité-État se double d’un combat pour la suprématie religieuse.

Avant l’Escalade à proprement parler, il convient de relever que Genève a attisé la convoitise des ducs de Savoie depuis plus d’un siècle. La première motivation se comprend par l’histoire même de l’expansion de leurs États et par la volonté de contrôler le lieu stratégique que constitue la ville du bout du lac sur les plans militaire et commercial. Mais plus généralement encore, à l’échelle de l’Europe, l’Escalade constitue un épisode du grand conflit que se livrent la France, d’une part, et les États sur lesquels règnent les Habsbourg de Madrid à Vienne d’autre part.

Dans la seconde moitié du XVIe siècle, Genève représente par ailleurs un enjeu déterminant en tant que capitale de la nouvelle foi réformée, alors que Rome est en pleine reconquête confessionnelle. À cet égard, la réaction catholique est particulièrement forte dans le Chablais par l’intermédiaire de Claude de Granier, évêque de Genève-Annecy, puis de son successeur François de Sales. Dès lors, les dernières décennies du XVIe siècle sont une période politiquement très tendue pour la jeune République protestante. Le Traité de Lausanne de 1564 se conclut par la restitution à la Savoie des territoires conquis par Berne en 1536 (bailliages de Gex, Ternier, Gaillard et Thonon). Genève se trouve ainsi, dès 1567, encerclée par les terres du duc de Savoie. Cette confrontation directe avec l’ennemi a dès lors influencé toute la politique extérieure de la République jusqu’à la fin du siècle. À ce titre, sous l’angle confessionnel, tandis que la Savoie reçoit l’appui de l’Espagne et des cantons catholiques, les collectes de l’Europe réformée représentent pour Genève un secours de grande importance dans les moments cruciaux. Quant à la France, les règnes successifs de Henri III puis Henri IV sanctionnent une politique plutôt bienveillante à l’égard de Genève. Le premier, bien que considéré comme un champion du catholicisme, conclut en 1579 le traité de Soleure qui place Genève sous la protection de la France. Il maintient ensuite sa position, en dépit des pressions des cantons catholiques qui offrent de faire pour lui la conquête de la cité-État. Le second, proche de Théodore de Bèze, poursuit cette politique en assurant continuellement les Genevois de sa bonne volonté.

Cependant, entre 1564 et 1580, le duc Emmanuel-Philibert de Savoie réorganise ses États, tout en conservant pour objectif ultime la reconquête de Genève. À son décès en 1580, son fils Charles-Emmanuel lui succède. Résolu à s’emparer de Genève par tous les moyens, il accentue dès 1582 les pressions savoyardes sur la ville. De nouvelles alliances sont alors conclues dans la région : en 1581, la Savoie renouvelle son traité d’alliance avec les cantons catholiques et, en 1584, les Genevois concluent un traité de combourgeoisie avec les cantons réformés de Berne et de Zurich. En 1585, la Savoie, appuyée politiquement par la papauté et le roi d’Espagne qui soutiennent cette entreprise de reconquête catholique, exerce un blocus affamant Genève en empêchant son approvisionnement en blé. Le conflit se transforme en une guerre ouverte entre 1589 et 1590, puis en une campagne d’escarmouches locales autour de la ville, sans victoire déterminante pour les protagonistes. Genève cherche des appuis auprès de ses alliés suisses, mais aussi chez le roi de France, afin de garantir sa souveraineté territoriale et confessionnelle.

***

En définitive, au-delà du courage des Genevois, la victoire du 12 décembre 1602 résulte en bonne partie de la situation triangulaire dans laquelle se trouvait la cité-État. En effet, ni Berne, ni la France, ni la Savoie ne pouvaient accepter de la voir annexée par l’un des deux autres. Le roi de France redoutait avant tout un éclatement de la Confédération qui le priverait d’une partie importante des troupes de mercenaires suisses dont il avait besoin. De surcroît, il ne voulait pas que la place forte genevoise appartienne à un allié de son principal adversaire le roi d’Espagne. Pour autant, les monarques Philippe II et Philippe III d’Espagne, bien que respectivement beau-père et beau-frère de Charles-Emmanuel, n’apportaient à la Savoie que peu d’aide concrètes dans ses tentatives contre Genève. Déjà en proie à différents conflits sur le continent, le roi d’Espagne entendait en effet maintenir la paix dans une région où cheminaient ses troupes entre le Milanais (alors espagnol) et ses possessions des Pays-Bas. Enfin, du côté bernois, on craignait qu’une victoire du duc à Genève ne l’autorise à réclamer le Pays de Vaud. Quant à la Confédération, partagée entre cantons catholiques et réformés, elle était bien trop polarisée à l’égard de Genève pour pouvoir l’assimiler sans éclater.

En ce début de XVIIe siècle, les conditions étaient encore réunies pour que Genève puisse demeurer indépendante.

Quelques sources conservées aux AEG (liste non exhaustive): 

Procès-verbal de la séance du Petit Conseil du dimanche 12 décembre 1602, intitulé en marge «Surprise».
AEG R.C. 97, f. 192

La première édition du Cé qu’è laino, imprimée le samedi 18 décembre 1602 par Jean II de Tournes à Genève
AEG coll. Girod 173.1.bis.e

Traité de Saint-Julien, 21 juillet 1603
AEG P.H. 2318

Lettre d’Henri IV à ses « tres chers et bons amis les sindicq et Conseil de la Ville de Genève » pour les féliciter d’avoir déjoué l’offensive du duc de Savoie et les assurer de son aide en cas de nouvelle attaque, 8 janvier 1603
AEG P.H. 1896, f. 36

Registre de baptêmes et mariages de la paroisse de Saint-Gervais entre 1594 et 1608
AEG E.C. Saint-Gervais B.M. 4, f. 74

Gravure dite de la « Vraye représentation de l’Escalade entreprise sur Genève par les Savoyards et sa belle délivrance l’an 1602 de décembre » par François Diodati, 1667.
AEG Archives privées 247/I/16

Plan de Bartolomeo Passone, 1568.
AEG P.H. 1860 bis

Lettre du major Sarasin au Syndic Blondel pour se plaindre de la négligence avec laquelle se fait la garde de la ville [1602 avant l’Escalade].
AEG P.H. 2295 bis

Récompenses accordées par arrest du Conseil dudit jour, à ceux qui se sont distingués à l’Escalade, 15 décembre 1602
AEG P.H. 2296

Defense de la tour de la Monnoie
AEG Archives privées 247/II/4

A lire : 

AEG C 588 : Fatio, Olivier, Béatrice Nicollier, et Martine Brunschwig Graf. Comprendre l’Escalade : essai de géopolitique genevoise. Genève: Labor et fides, 2002.

AEG  R 350/70 : Delpin, Patrice. L’Escalade de Genève en son temps. Typologie et généalogie des récits contemporains. Genève: Alphil, 2025.

 

AEG A 688 : Aguet, Joël. « Cé qu’è laino » : une chanson genevoise rendue à ses origines. Genève: Droz, 2020.

AEG B 5520 : Aguet, Joël. Origines de la chanson de l’Escalade en langage savoyard dite « Cé qu’è laino ». Genève: Droz, 2020.

AEG Janot 23/19 : Anspach, Isaac-Salomon. Sermon pour l’Escalade, sur Psaume XXXIII, verset 12 […] prêché à Saint Gervais. Genève: [éditeur non identifié], 1793.

AEG C 1404 : Bardet, Daniel et al. Sauvez Genève! : [1602, l’Escalade]. Grenoble: Glénat, 2002.

AEG F 53/6 : Célébration des 400 ans de l’Escalade : premier récit de l’Escalade du 12 décembre 1602 imprimé sur papier d’archive. Les Acacias: Ecologie au travail, 2002.

AEG A 815 : Chaponnière, Pernette. Par une nuit de décembre : roman historique pour la jeunesse. Neuchâtel: Ed. de La Baconnière, 1958.

AEG 86/Bl/5 : Choisy, Laure, Noël Fontanet, et Compagnie de 1602. Casques et masques : pièce d’Escalade en sept tableaux. Genève: Compagnie de 1602, 1938.

AEG R 7574/2024 : Compagnie de 1602. Recueil Le Falco, 422e anniversaire – Décembre 2024. Genève: Compagnie de 1602, 2024.

AEG R 7574/2023 : Compagnie de 1602. Recueil Le secrétaire d’État, 421e anniversaire – Décembre 2023. Genève: Compagnie de 1602, 2023.

AEG B 5901 : Compagnie de 1602, et Bibliothèque de Genève. La nuit de l’Escalade : accrochage, Couloir des coups d’oeil, Promenade des Bastions, 29 novembre 2021 au 8 janvier 2022. Genève: Bibliothèque de Genève, 2020.

AEG 86/Z/10 : Demole, Emile, et Musée d’art et d’histoire. Souvenirs de l’Escalade de 1602 conservés à la salle des armures. Genève: Musée d’art et d’histoire, 1922.

AEG 3122 : Denkinger, Henri et al. L’Escalade : trois récits. Genève: C. Eggimann, 1902.

AEG R 1011/30 : Deonna, Waldemar. « Les anciennes représentations de l’Escalade (1602) ». Genava : bulletin du Musée d’art et d’histoire (1952).

AEG 792 : Drames et chansons sur l’Escalade. [Recueil factice de 9 brochures].  [Genève]: [s. éd.], [1830-1899].

AEG 86/4/4 : Dufour-Vernes, Louis. La mère Royaume et sa marmite. Genève: J. Carey, 1880.

AEG S 5961/20 : Godoy, José-Andrés, José-A Godoy, et Musée d’art et d’histoire. L’Escalade et ses souvenirs. Genève: Musée d’art et d’histoire, 1980.

AEG 86/Bc/11 : Goulart, Simon, et Jean Sarasin. Vray discours de la miraculeuse délivrance envoyée de Dieu à la ville de Genève, le 12. jour de décembre, 1602. Genève: [éditeur non identifié], 1603.

AEG 86/F/20 : Grasset-B, Daniel. Zenèva dèlivrâye : Huguenots 1519-1535 : Escalade 1602 : captivité & [et] Restauration 1798-1814 : avenir 1868. Genève: Soullier Landskron et Wirth, 1868.

AEG 1200 : Guillot, Alexandre, Guillaume Fatio, et Edouard Elzingre. La nuit de l’Escalade : le onze décembre mil six cent deux. Genève: Atar, 1915.

AEG B 3005 : Lagana, Sophie, Olivier Fatio, et Stéfanie Rapillard. A chacun son Escalade : propos recueillis dans les coulisses du 400e. Genève: Slatkine, 2003.

AEG 86/V/1 : Marullaz, François. « La vérité sur l’Escalade d’après des documents décisifs récemment publiés à Genève ». Revue savoisienne : journal (1920).

AEG 86/D/30 : Massé, Arthur. Echelles et canons : souvenirs genevois : illustré de gravures inédites. Genève: A. Cherbuliez, 1882.

AEG C 1223 : Mullenheim, Sophie de, et Marine Gosselin. L’escalade de Genève en 1602. Paris: Auzou, 2018.

AEG 86/D/31 : Muller, Eugénie. L’Escalade, 1602 : simple récit pour les petits. Genève: Département de l’instruction publique, 1902.

AEG B 6077 : Pétremand, Noémie, et Sophie Verhille. La nuit de l’Escalade. Paris: Editions Auzou, 2019.

AEG F 49/4 : Ronget, Pierre et al. L’Escalade a 400 ans. Genève: République et canton de Genève, Département de l’instruction publique, 2002.

AEG 86/Da/21 : Roussy, Henri. « Les armes en 1602 ». Anniversaire de l’Escalade (1949).

AEG G 95/4 : J.S. Ce que l’Escalade dit aux femmes de Genève. Genève: Chez tous les libraires, 1889.

AEG Bu 308 : Société d’histoire et d’archéologie de Genève. Documents sur l’Escalade de Genève : tirés des archives de Simancas, Turin, Milan, Rome, Paris et Londres : 1598-1603. Genève: Georg, 1903.

AEG 86/Bf/33 : Vaucher, Gustave. « Le procès d’un soldat savoyard de l’Escalade : Bernardin Monneret ». Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Genève (1937).

AEG B 3604 : Walker, Corinne, et Dominique Zumkeller. La Mère Royaume : figures d’une héroïne, XVIIe-XXIe siècle. Genève ; Paris: Georg, 2002.

AEG 2355 : Wuthrich, E.-A. Les relations de Genève avec la Maison de Savoie : cortège historique organisé pour le 1er juin 1903 à l’occasion du IIIme centenaire de l’Escalade : album officiel : 1602 Genève 1902. Zurich: E.-A. Wuthrich, 1903.

 

Le premier récit de l’Escalade

Le dimanche 12 décembre 1602 à huit heures du matin, le Petit Conseil (gouvernement de Genève) se réunit pour évoquer les événements de la nuit. Un procès-verbal est rédigé et inscrit dans le registre des procès-verbaux de l’année 1602.

Il s’agit ainsi du tout premier récit de l’Escalade, qui nous est parvenu intact.

AEG RC 9 Folios 192

AEG RC 9 Folios 193

AEG RC 97 folios 192 et 193

La série des procès-verbaux du Petit Conseil est entièrement numérisée et consultable sur Adhémar, la base de données des Archives d’Etat (1409-1855).