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Entrée de Genève dans la Confédération

Entrée de Genève dans la Confédération (1814-1815)

Le 1er juin 1814, deux contingents fribourgeois et soleurois débarquent au Port du Traînant, désormais Port-Noir, sur la rive gauche du Lac Léman. Ne pouvant passer par voie terrestre, Versoix étant encore territoire français, les troupes arrivent ainsi à Genève par le lac, sur l’actuelle commune de Cologny. Si une foule en liesse accueille les Confédérés à l’occasion d’une cérémonie orchestrée par les autorités, cette date est uniquement symbolique. Car ce n’est qu’un an plus tard, le 19 mai 1815, que Genève entre véritablement dans la Confédération helvétique en tant que 22e canton suisse. Pour autant, l’actuel territoire cantonal est progressivement façonné après de longues et difficiles tractations diplomatiques, menées notamment par Charles Pictet de Rochemont qui représente Genève et la Confédération aux Congrès de Paris, Vienne et Turin (1814-1816).

Six mois avant le débarquement des Suisses au Port Noir, Genève est encore française en tant que chef-lieu du département du Léman. Mais depuis octobre 1813, défaites à la bataille de Leipzig, les troupes de l’Empire français se replient, talonnées par les armées coalisées de Russie, d’Autriche et de Prusse. Le 21 décembre 1813, le corps d’armée autrichien du général Ferdinand von Bubna pénètre en Suisse par Bâle avec pour but de gagner ensuite Genève et Lyon. Sentant le vent tourner, un groupe d’anciens magistrats genevois crée secrètement une commission en vue de préparer la restauration de l’ancienne République. Le 30 décembre, la garnison française quitte Genève ; l’après-midi même, 10’000 Autrichiens occupent la cité. Ils y resteront jusqu’en mai 1814. La commission clandestine s’érige alors en gouvernement provisoire et désigne quatre syndics selon les usages politiques d’Ancien Régime. Le 31 décembre, une proclamation est rédigée qui annonce simultanément l’indépendance de Genève et la Restauration de la République. Emmené par les conservateurs Ami Lullin et Joseph Des Arts, le gouvernement autoproclamé vise à rétablir l’ordre politique d’avant la Révolution.

Durant les premiers mois de 1814, l’incertitude règne quant à la destinée de Genève. Si le modèle des villes-États semble définitivement révolu au début du XIXe siècle, le rattachement de la cité du bout du lac à la Confédération est encore loin d’être une évidence. Car en face du gouvernement provisoire, la Commission centrale du Léman chargée par le général Bubna d’administrer le territoire après le départ des Français penche plutôt pour un rattachement à la France. De fait, la « solution suisse », bien que plébiscitée par une partie des édiles genevois – Pictet de Rochemont en tête –, résulte en partie des plans élaborés par les puissances alliées dont l’objectif est de contenir la France à l’intérieur de ses frontières de 1792. À cet égard, le fait qu’il existe ou non des liens historiques entre Genève et la Suisse demeure un élément secondaire. Cependant, la contre-offensive de Napoléon, dont les troupes sont à nouveau à Carouge en mars 1814 (bataille de Saint-Julien du 1er mars 1814), achève de convaincre les membres du gouvernement provisoire genevois de la nécessité de s’agréger à un organisme plus fort pour survivre.

Dès lors, le gouvernement affiche haut et fort le vœu de lier Genève à la Confédération, bien que plusieurs cantons suisses considèrent alors avec méfiance cette cité dont ils avaient encore en mémoire les nombreux troubles politiques du siècle précédent. Afin de conférer une légitimité populaire à leur action, les autorités lancent une pétition en faveur d’une « association plus étroite » avec la Suisse, laquelle jouit d’un important plébiscite au sein de la population. En parallèle, elles obtiennent de la Diète fédérale l’envoi d’un contingent de soldats suisses pour renforcer la garnison genevoise. C’est ainsi que le 1er juin 1814, deux compagnies fribourgeoises et une compagnie soleuroise débarquent au Port Noir. Quant à la Confédération, elle impose deux conditions sine qua non pour que Genève soit admise en son sein : le futur canton doit, d’une part, adopter une constitution conservatrice et satisfaisante pour les autres cantons et, d’autre part, être homogène et contigu avec la Suisse. Car depuis le départ des Français, Genève a retrouvé son ancien territoire tel qu’il était depuis les traités de Paris (1749) et de Turin (1754), c’est-à-dire coupé de la Suisse et composé d’enclaves dans le Pays de Gex et en Savoie, alors possession du Royaume de Piémont-Sardaigne.

La première condition est rapidement remplie, puisque la constitution est votée par le peuple genevois en août 1814. Le 12 septembre suivant, treize cantons sur dix-neuf se prononcent pour l’admission de Genève dans la Confédération. Finalement, après l’adhésion progressive de tous les cantons, le traité définitif réglant le rattachement est signé le 19 mai 1815. La seconde condition est cependant bien plus complexe à satisfaire, dans la mesure où la question territoriale implique l’assentiment des puissances victorieuses qui redessinent la carte de l’Europe au Congrès de Vienne (18 septembre 1814 – 9 juin 1815). C’est à Charles Pictet de Rochemont (1755-1824), diplomate attitré de la République de Genève puis de la Confédération, qu’incombe la mission de négocier le remaniement du territoire genevois et helvétique. Ancien État vassal de la France, la Suisse est en effet l’un des objets des négociations : après la pacification interne du pays (Pacte fédéral du 7 août 1815), les grandes puissances visent la création d’un État neutre et militairement renforcé, susceptible de faire tampon entre la France et l’Autriche.

Au premier Traité de Paris (30 mai 1814) qui fixe les nouvelles frontières de la France, Pictet de Rochemont parvient à faire reconnaître l’indépendance de Genève ainsi que l’idée de son union à la Suisse. Dans les deux protocoles du 29 mars 1815, confirmés par l’Acte final du Congrès de Vienne du 9 juin 1815, il s’assure les garanties territoriales permettant le rattachement de Genève au Corps helvétique. Mais il restait encore à finaliser de manière officielle ce qui avait été décidé dans l’Acte final du Congrès de Vienne. Avec le second traité de Paris (20 novembre 1815), Genève obtient de la France six communes du Pays de Gex, à savoir Versoix, Collex-Bossy, Pregny-Chambésy, Vernier, Meyrin et le Grand-Saconnex (49,3 km2 et 3’343 habitants). Dès lors, c’est par le territoire de Versoix, grâce à une frontière commune de 4,6 kilomètres avec le Canton de Vaud, que la condition de contiguïté avec la Suisse est remplie. À Paris, Pictet de Rochemont gagne en outre la reconnaissance internationale de la neutralité perpétuelle de la Suisse et l’inviolabilité de son territoire.

Enfin, par le Traité de Turin (16 mars 1816), Victor-Emmanuel 1er, roi de Sardaigne, cède à Genève le territoire des actuelles communes de Laconnex, Soral, Perly-Certoux, Plan-les-Ouates, Bernex, Aire-la-Ville, Onex, Confignon, Lancy, Bardonnex, Compesières, Troinex, Veyrier, Chêne-Thônex, Puplinge, Presinge, Choulex, Meinier, Collonge-Bellerive, Corsier, Hermance, Anières et Carouge. Le nouveau canton gagne alors près de 110 km2 et une population d’environ 13’000 habitants, en majeure partie catholique et rurale. Bien que Pictet de Rochemont ait souhaité pour Genève des frontières beaucoup plus étendues, il n’obtient finalement que le strict nécessaire au rattachement de cette dernière à la Confédération. La crainte, exprimée par les conservateurs genevois, de voir l’ancienne « Rome protestante » submergée par de nouveaux habitants catholiques, français et savoyards, explique en partie cette solution minimale.

Traité de Turin entre la Sardaigne, la Confédération Suisse et le Cantonde Genève du 16 mars 1816, AEG Savoie 37
Traité de Turin entre la Sardaigne, la Confédération Suisse et le Canton
de Genève du 16 mars 1816
AEG Savoie 37

Bibliographie indicative

 «Les Cantons suisses et Genève, 1477-1815», dans Mémoires et documents publiés par la Société d’histoire et d’archéologie de Genève, série in-4°, t. IV, Genève, 1915. AEG R 110/4

Louis BINZ et Alfred BERCHTOLD, Genève et les Suisses, Genève, 1991. AEG F 9/19

Joël BOISSARD, Le Centenaire de l’entrée de Genève dans la Confédération suisse, mémoire de licence, Université de Genève, Faculté des lettres, octobre 2000. AEG F 208/1

Jean-Claude BUZZINI, La bataille de St-Julien: 1er mars 1814, Saint-Julien, 2018. AEG B 5971

Alfred DUFOUR, Histoire de Genève, Que sais-je? n° 3210, Paris, 2010. AEG A 459

Paul GUICHONNET et Paul WAEBER, Genève et les communes réunies, Genève, 1991. AEG B 907

Irène HERRMANN, Genève entre République et Canton: les vicissitudes d’une intégration nationale (1814-1846), Genève, Québec, 2003. AEG B 3207

Paul WAEBER, La formation du canton de Genève (1814-1816), Genève, 1974. AEG 5313

François WALTER, Histoire de la Suisse, 5 vol., Neuchâtel, 2009-2010. AEG A 416

 

26 mai 2025