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Crises et révolutions


Une période cruciale de l’histoire de Genève

Dans leurs vitrines de l’Ancien Arsenal, les Archives d’Etat présentent une série de documents fondamentaux illustrant la naissance de la Genève réformée et de la République protestante. Cette démonstration attire aussi l’attention sur le travail accompli dans cette institution pour renouveler la connaissance du passé genevois, en publiant les registres du Conseil de Genève à l’époque de Calvin.

En 1526, la communauté des citoyens de Genève, bravant les menaces du duc de Savoie et la sourde résistance de l’évêque Pierre de La Baume, conclut un traité de combourgeoisie avec les villes de Berne et de Fribourg. Ce rapprochement avec les Suisses aura une double conséquence: le passage de Berne à la Réforme, les prédications de Farel et de Froment encouragent à Genève un mouvement d’émancipation politique qui avait commencé déjà au milieu du XVe siècle et qui aboutira, en 1536, à travers des guerres dangereuses et dans une ambiance de conflit et de crises religieuses, politiques et économiques, à l’indépendance et au développement d’une république réformée.

C’est cette période passionnante, révélatrice de toute une histoire, que les Archives d’Etat présentent dans cette nouvelle exposition: les aspects politiques, locaux et internationaux, les conflits religieux, les difficultés économiques, sont évoqués au travers de quelques thèmes ou événements tels que l’adoption de la Réforme, la délivrance de Genève par les troupes bernoises, les conflits avec Calvin et Farel, la figure controversée de Bonivard, les relations tumultueuses avec Berne.

Affiche de l'exposition

Cette nouvelle réalisation des Archives d’Etat est le fruit d’un long travail de base favorisé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique et par plusieurs sponsors du secteur privé, qui ont permis la publication, avec des introductions, des notes et un fort index, des premiers registres du Conseil de Genève à l’époque de Calvin: entreprise ambitieuse, mais très utile, car quiconque a pu voir de ses yeux l’écriture et la langue de ces registres ne peut que souhaiter une édition critique de cette source fondamentale de l’histoire de Genève pour améliorer la connaissance du passé genevois et suisse.

L’exposition, réalisée par Catherine Santschi, Sandra Coram-Mekkey, Christophe Chazalon et Gilles-Olivier Bron, photographies de Janine Csillagi, est accompagnée d’un bel ouvrage, publié par la Fondation de l’Encyclopédie de Genève, richement illustré par des reproductions des principaux documents et d’une iconographie quelque peu renouvelée, notamment par les aquarelles originales réalisées par le peintre Edouard Elzingre sur la Genève de la Réforme.

On peut se procurer l’ouvrage, intitulé Crises et révolutions à Genève 1526-1544, soit aux Archives d’Etat, soit en librairie (diffusion Slatkine), soit auprès de l’éditeur (Fondation de l’Encyclopédie de Genève, case postale 3640, 1211 Genève 3.

1. De la combourgeoisie au blocus, 1526-1534


Les premières décennies du XVIe siècle sont décisives pour la destinée de Genève: c’est alors que la communauté des citoyens, qui a obtenu en 1309 de haute lutte le droit de s’organiser, de se faire représenter par des procureurs ou syndics disposant des pleins pouvoirs, et en 1387 les fameuses Franchises d’Adhémar Fabri, prend conscience de sa force et aspire désormais à l’autonomie, voire à la souveraineté.

A l’imitation de Lausanne, qui a conclu en 1525 avec Berne et Fribourg un traité de combourgeoisie, un parti genevois, qu’on appelle les Eidguenots à cause de ses attaches avec les Confédérés, réussit à conclure et à faire approuver, le 25 février 1526, malgré les menées et les menaces du duc de Savoie, et malgré la sourde résistance de l’évêque Pierre de La Baume, un traité de combourgeoisie avec les villes de Berne et de Fribourg.

AEG, P.H. 964

Le traité de combourgeoisie entre Genève, Berne et Fribourg du 8 février 1526 (AEG, P.H. 964)

Juré par les Conseils des trois villes malgré l’opposition de l’évêque de Genève Pierre de La Baume et du Duc de Savoie, ce traité constitue une étape fondamentale dans l’émancipation de la communauté des citoyens de Genève. Le sceau de Fribourg a été arraché en 1534, la ville restée fidèle à l’ancienne foi n’approuvant pas la politique des Genevois orientée vers la Réforme.

A l’époque, l’enjeu est plus politique que religieux. Mais quelques cercles protestants existent à Genève, et Berne passe à la Réforme à la suite de la dispute de religion de 1528. Cependant, l’évêque, voyant ses droits de juridiction et son pouvoir sur la communauté menacés, tente de récupérer la conduite des opérations. Il se fait accepter comme bourgeois de Genève, et fait un magnifique cadeau aux citoyens : le droit de justice civile, alors que déjà les syndics possédaient des droits importants en matière pénale.

Ainsi, l’évêque court lentement à sa perte.

2. Menaces sur la ville


Conscients du danger, l’évêque et le duc de Savoie ont tenté de réagir: la guerre de la Cuiller en 1530, où les nobles du Pays de Vaud savoyard assiègent Genève, qui est débloquée une première fois par les alliés bernois. Les prétentions du duc de Savoie sur Genève sont l’objet de discussions que les Suisses tentent d’arbitrer à Saint-Julien, puis à Payerne, sans succès. Cependant, la Réforme fait des progrès à Genève. Les prédications agressives de Guillaume Farel et d’Antoine Froment provoquent des émeutes. En 1534, les Fribourgeois, fidèles à l’ancienne foi, se retirent de la combourgeoisie. Quant à l’évêque, il a quitté la ville en juillet 1533 et n’y reviendra plus.

AEG, P.H. 1055

La sentence de Payerne, du 31 décembre 1530, prononcée par les cantons suisses entre Berne, Fribourg et Genève, d’une part, et le duc de Savoie de l’autre (AEG, P.H. 1055)

Par cet important document, les neuf cantons et alliés rétablissent le duc de Savoie dans la possession du vidomnat de Genève, c’est-à-dire de l’exercice de la justice pénale coutumière dans la ville, mais maintiennent la combourgeoisie entre les trois villes. Cette sentence, à laquelle on se référera longtemps, jusqu’au traité de Saint-Julien de 1603, allait peser très lourd sur la destinée de Genève dans ses relations avec le duc de Savoie, puis avec Berne, et à nouveau avec le duc de Savoie.

Toutefois ses partisans, les «Peneysans», qui restent fidèles non seulement à l’ancienne foi, mais aussi à leur position sociale et politique qui dépend du pouvoir épiscopal, étroitement contrôlé par le duc de Savoie, ayant quitté la ville, occupent les châteaux épiscopaux de Peney, de Jussy et de Thiez. De là, appuyés aussi sur d’autres forts appartenant à des vassaux du duc de Savoie, ils lancent des attaques contre la ville, empêchent son ravitaillement, font subir mille tourments aux bourgeois et aux commerçants genevois qu’ils peuvent capturer. De leur côté, les Genevois résistent, font le procès des Peneysans, les condamnent à mort par contumace.

Sans le secours des Bernois, toutefois, les Genevois ne pourront pas se libérer de ce siège cruel, qui durera presque deux ans, de l’été 1534 au mois de janvier 1536. Après d’innombrables tentative de Berne et de la Diète des Cantons suisses pour ramener la paix entre le duc de Savoie et les Genevois restés dans la ville, c’est seulement en janvier 1536 que la République des bords de l’Aar se décide à partir en campagne, non sans avoir consulté les villes et les communautés de la campagne sujette.

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Lettres d’Ami Porral, envoyé du Conseil de Genève à Berne, septembre-octobre 1535. Ces lettres relatent les efforts de l’envoyé genevois pour obtenir l’aide militaire des Bernois contre ceux qui assiègent Genève, font état des hésitations du gouvernement bernois à intervenir et du soutien ardent de la population aux réformés genevois (AEG, P.H. 1121). [Non reproduit]

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La fuite de l’évêque, 1533. Aquarelle d’Edouard Elzingre, exécutée pour illustrer l’ouvrage d’Alexandre Guillot, Le siècle de la Réforme à Genève, paru en 1917 (AEG, Archives privées 279.11). [Non reproduit]

3. Les prémices de la Réforme


La dispute de Rive

Alors que Berne a adopté la Réforme en 1528, à Genève, celle-ci ne compte encore que quelques partisans lors de l’arrivée de Guillaume Farel au début des années 1530. Soutenu et protégé par Berne, ce dernier gagne de plus en plus de Genevois à la foi nouvelle. Le 1er janvier 1533, le mouvement évangélique sort de l’ombre en organisant une prédication au Molard, prononcée par Antoine Froment (n° 1), à la suite de laquelle la majorité de la classe dirigeante se déclare en faveur de la Réforme.

AEG, Archives privées 279.10

1. Prêche d’Antoine Froment au Molard (1er janvier 1533). Aquarelle préparatoire d’Edouard ELZINGRE (AEG, Archives privées 279.10)

Des tensions naissent inévitablement entre les partisans de l’ancienne et de la nouvelle foi, marquées par le meurtre du chanoine Pierre Werli le 4 mai 1533, par les attaques verbales contre les évangélistes proférées par Guy Furbity appelé à Genève pour prêcher l’Avent en décembre 1533, ainsi que par l’homicide du réformé Nicolas Bergier et l’exécution de son assassin en février et mars 1534. Ces tensions religieuses cristallisent les tensions politiques qui agitent la ville au même moment, opposant les partisans du duc de Savoie aux partisans de l’indépendance.

Face à l’inertie d’une partie des magistrats de la ville, les évangéliques poussent à l’organisation d’une dispute ecclésiastique, afin d’amener les autorités à prendre une position formelle au sujet de la religion. La dispute, qui a lieu du 30 mai au 24 juin 1535 au couvent de Rive, fait triompher la cause des évangéliques et a pour conséquence l’abolition de la messe, la destruction des images et le départ des religieux de la ville (n° 2).

La suppression de la messe et l’iconoclasme

Le 28 juin 1535, seulement quatre jours après la fin de la dispute de Rive, Claude Bernard et ses acolytes se présentent devant le Conseil pour demander la suppression de la messe de même que celle des images et autres objets d’«idolâtrie». Le Conseil reste prudent, toutefois, et la question ne se repose que le 8 août, lorsque plusieurs citoyens de la ville vont à Saint-Pierre pour y détruire les images (n° 3a, 3b et 3c).

Le 10 août, il est résolu de convoquer les ecclésiastiques de la ville devant le Grand Conseil pour avoir leur avis sur le maintien de la messe et du culte des images. D’ici là, la destruction des images doit cesser et la messe ne plus être célébrée jusqu’à nouvel ordre.

Mais à la fin du mois d’octobre, les autorités font brûler publiquement la représentation de Notre-Dame de Grâce. Et tout au long des années 1536 et 1537, elles font retirer des églises les objets de culte et les ornements ecclésiastiques qu’elles vendent au plus offrant et ordonnent la destruction des autels, des images et des «idoles».

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2. La dispute de Rive (29 mai – 24 juin 1535) (AEG, Ms hist. 30, fol. 240-257), éd. par T. Dufour, « Un opuscule inédit de Farel. Le résumé des actes de la dispute de Rive (1535) », dans M.D.G., t. 22, pp. 217-240. [Non reproduit]​

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3a. Iconoclasme. Planche encadrée sur laquelle sont représentés, en haut, une crucifixion, avec les armoiries de Genève, en bas, les quatre évangélistes, avec texte; toutes les images sont endommagées (AEG, sans cote). [Non reproduit]​

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3b. Iconoclasme. Bois gravé de la Chronique de Iohann STUMPF (1547-1548), fol. 254r°. [Non reproduit]​

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3c. Iconoclasme. Antoine FROMENT, Les actes et gestes merveilleux de la cité de Genève, publ. par G. Revilliod, Genève, 1884, p. 144/145. [Non reproduit]​

4. L’Hôpital général


La fondation de l’Hôpital général est l’une des premières conséquences de la Réforme, anticipant même son adoption officielle (21 mai 1536), intervenant quelques mois seulement après la suppression de la messe (10 août 1535). Malgré une première tentative de réunion des institutions hospitalières de la ville en 1508, ce n’est que le 14 novembre 1535 que le Conseil Général décide la création d’un établissement unique, réunissant tous les autres hôpitaux existant (n° 1).

L’Hôpital général s’installe au Bourg-de-Four, dans les bâtiments que les Clarisses viennent d’abandonner pour se réfugier à Annecy, à l’emplacement de l’actuel Palais de justice (n° 2). En guise de revenus, le Conseil Général du 14 novembre lui a attribué non seulement les biens des anciens hôpitaux, mais également ceux des églises, des couvents, des confréries ainsi que ceux qui ont auparavant été destinés aux usages pieux.

Si les vrais «recteurs» de l’Hôpital général sont « les magnifiques et très redoutés seigneurs syndics et Conseil d’icelle», l’administration de l’établissement est exercée par plusieurs officiers sous leur autorité. Les ordonnances ecclésiastiques de 1541 stipulent qu’il y ait quatre procureurs, que l’élection de ces derniers et de l’hospitalier soit commise au Consistoire et que l’on salarie un médecin et un chirurgien aux frais de la ville (n° 3).

L’Hôpital ne se contente pas de recueillir les malades et les pauvres, il sert aussi de maison de retraite et d’orphelinat, assumant non seulement un rôle caritatif, mais également un rôle éducatif. Les pauvres de passage, quant à eux, sont nourris et hébergés à l’hôpital du Saint-Esprit. Du 13 octobre 1538 au 11 octobre 1539, entre nonante et trois cent soixante-six personnes y sont reçues (n° 4).

AEG, Archives hospitalières Fe 1

4. Nombre de passants ayant reçu l’aumône de l’Hôpital entre le 13 octobre 1538 et le 11 octobre 1539 (AEG, Archives hospitalières Fe 1, fol. 108-109v°)

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1. Fondation de l’Hôpital général, 14 novembre 1535 (AEG, Edits 3, fol. 104v°-106). [Non reproduit]​

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2. L’Hôpital général, détail d’une vue de Genève dite «pour Pierre Chouet, 1655» (AEG, Archives privées 247/XII/29). [Non reproduit]​

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3. Ordonnances ecclésiastiques, 1541 (AEG, Cp Past. R 1, p. 7), éd. dans S.D.G., t. 2, n° 794, pp. 383-384. [Non reproduit]​

5. La Réforme


L’adoption de la Réforme

Si la suspension de la messe prononcée par le Grand Conseil le 10 août 1535 symbolise le passage de Genève à la Réforme, ce n’est que neuf mois plus tard que l’adoption de la religion nouvelle est confirmée en Conseil général. Le 19 mai 1536, Farel se présente devant le Conseil et fait «une grande admonition de bien vivre et selon Dieu, et mêmement de entretenir une bonne union entre le peuple, et de chercher tous les moyens pour cela faire», en réponse à laquelle le Conseil décide «que l’on doive assembler le Conseil des Deux Cents et y proposer cela, et dire que l’Ordinaire [Petit Conseil] est de l’avis que l’on assemble un grand Conseil général, pour y demander si chacun veut vivre selon la nouvelle réformation de la foi ainsi qu’elle est prêchée».

Le Conseil général est rassemblé le dimanche 21 mai. Le premier syndic prend la parole pour demander s’il y a des opposants à la nouvelle foi et les inviter à se prononcer ou si tous ne veulent pas vivre selon l’Evangile, comme on le fait depuis le mois d’août précédent. Aussitôt, tous expriment leur adhésion au culte évangélique en levant la main (n° 1a et 1b).

 

AEG, R.C. 29

1a. Adoption de la Réforme, 21 mai 1536 (AEG, R.C. 29, fol. 112-112v°), édité dans R.C. impr., t. XIII, pp. 576-577

Transcription

Dimanche vingt et un de mai 1536
(…)
Le Conseil général, en cloître

Jouxte la résolution du Conseil ordinaire, est été assemblé le Général au son de la cloche et à la trompette, ainsi qu’est de coutume. Et par la voix de monsieur Claude Savoye, premier syndic, est proposé l’arrêt du Conseil ordinaire et de Deux Cents touchant le mode de vivre. Et après ce, [à] haute voix est été demandé s’il y avait aucun qui sût et voulût dire quelque chose contre la parole et la doctrine qui nous est en cette cité prêchée, qu’il le dise et à savoir si trestous [tous] veulent pas vivre selon l’Évangile et la parole de Dieu, ainsi que depuis l’abolition des messes nous est été prêchée et se prêche tous les jours, sans plus aspirer ni vouloir messes, images, idoles ni autres abus papaux [catholiques] quelles qu’elles soient. Sur quoi, sans point d’autre voix qu’une même, est été généralement arrêté et par élévation des mains en l’air conclu, et à Dieu promis et juré, que trestous unanimement, à l’aide de Dieu, voulons vivre en cette sainte loi évangélique et parole de Dieu, ainsi qu’elle nous est annoncée, voulant délaisser toutes messes et autres cérémonies et abus papaux, images et idoles, et tout ce que cela pourrait toucher, vivre en union et obéissance de justice.

La confession de foi

Si, proclamée en Conseil général le 21 mai 1536, la religion nouvelle a désormais force de loi, elle n’est pas reconnue par tous et ses détracteurs se font bientôt entendre. En effet, l’adoption de la Réforme est accompagnée d’une série d’ordonnances touchant la pratique religieuse des particuliers et beaucoup d’entre eux éprouvent de la peine à accepter les changements qu’on entend leur imposer dans la manière de vivre leur foi.

Face à la difficulté d’établir la pratique de la nouvelle doctrine, Guillaume Farel propose en Conseil, le 10 novembre 1536, puis à nouveau le 16 janvier 1537, une série d’articles, parmi lesquels figure une confession de foi, que tous les habitants de la ville devront jurer. Il s’agit d’une adhésion personnelle à un formulaire identique (n° 2), dont la finalité vise à connaître les membres véritables de l’Eglise, afin de n’admettre au sacrement de la sainte Cène que ceux qui auraient juré la déclaration, et d’excommunier le cas échéant ceux qui n’y adhéreraient pas. Le Petit Conseil approuve ces articles le 16 janvier 1537 et le 27 avril, mille cinq cent exemplaires de la confession de foi sont imprimés par Wigand Köln.

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1b. Adoption de la Réforme (21 mai 1536). Aquarelle préparatoire d’Edouard ELZINGRE et A. GUILLOT, Les débuts de la Réformation à Genève, Genève, 1885, p. 146 (AEG, Archives privées 279.13). [Non reproduit]

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2. La confession de foi. Le catéchisme français de Calvin publié en 1537 (…) suivi de la plus ancienne confession de foi de l’Eglise de Genève, Genève, 1878, p. CIV et pp. 103-122. [Non reproduit]​

6. La monnaie


Peu après la fuite, en 1533, de Pierre de La Baume, évêque de Genève, et la défaite du duc de Savoie, en 1536, les Genevois accaparent les pouvoirs seigneuriaux, parmi lesquels figure le droit régalien de frapper monnaie (n° 1).

AEG, R.C. 28

1. Décision de fabriquer de la monnaie aux armes de la ville, prise le 10 octobre 1535, par le Petit Conseil. Elle sera confirmée, le 26 novembre, par le Grand Conseil (AEG, R.C. 28, fol. 134v°)

Transcription

(Armigeri.) — (…) De solutione fuit advisum quod debeamus facere monetam sub nostris signis et de eadem solvere meliori modo quo fieri poterit; et datur onus thesaurario providendi de materia ad faciendum dictam monetam.

(Soldats) — (…) Du paiement, a été avisé que nous devons frapper monnaie avec nos armes, et de la payer de la meilleure façon qu’il sera possible, et a été donné charge au trésorier de pourvoir au matériau, pour faire la dite monnaie.

Ni l’évêque de Genève, prince légitime de la ville, ni l’Empereur, ni le duc de Savoie, ni le roi de France, ne semblent s’y être opposés. Seuls les Bernois demandent aux Genevois de prouver leurs droits en matière de monnaie, qu’ils acceptent en mai 1537. Les pièces circulent alors rapidement sur les principaux marchés avoisinants.

Régulièrement, les pièces sorties de l’atelier sont discutées, soit parce qu’elles n’ont pas reçu l’aval définitif de la Seigneurie, soit parce qu’elles sont de mauvaise qualité, soit parce qu’elles sont décriées par les Etats voisins, soit parce qu’elles ne correspondent plus à l’image que la Seigneurie entend donner.

Les pièces fabriquées par l’atelier genevois entre 1535 et 1544 sont pour l’essentiel en billon, mélange de cuivre et d’argent. Il s’agit de deniers (la plus petite valeur nominale), de quarts et de sols (n° 2). Viennent ensuite, dès 1535, les testons et demi-testons d’argent. Enfin les écus et demi-écus d’or, produits à partir du début des années 1540, qu’il ne faut pas confondre avec les écus d’or au soleil français, la monnaie étalon à Genève, qui sert également de monnaie de compte, au même titre que le florin. Un écu vaut alors 4 florins et 8 à 10 sols, et un florin vaut 12 sols, soit 144 deniers.

Les éléments de décors, eux, se succèdent: la croix, l’aigle bicéphale impériale, les armes de la ville, le trigramme «IHS» [en latin] ou «IHΣ» [en grec], inséré dans la croix ou dans un cimier, et diverses inscriptions. La devise «Post Tenebras [Spero] Lucem», tirée de la Vulgate (Job, XVII-12), aurait été choisie lors des batailles pour l’indépendance de 1530. Elle est remaniée en 1542, peu après le retour de Calvin, pour devenir «Post Tenebras Lux» (n° 3).

Ces nombreuses variantes, même si elles irritent un peu les Bernois, ont l’avantage de contrer les faux-monnayeurs, qui opèrent aussi bien sur les terres genevoises, que sur celles des pays voisins (n° 4). L’entraide, sur ce point, est totale, même lorsqu’il y a conflit politique ou religieux, et les faux-monnayeurs sont rapidement condamnés, le plus souvent à avoir la tête tranchée.

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2. Pièces de monnaie en billon, frappées à Genève entre 1535 et 1540. Les sols comportent une croix et les armes de la Ville. Le quart, avec les textes «Deus Noster Pugnat / Pro Nobis» et «Genava Civitas / 1535», sera finalement remplacé à la demande de la Seigneurie, qui préfère y voir graver les armes de la ville. Toutes cependant portent la devise «Post Tenebras [Spero] Lucem». [Non reproduit]
a – Quart de 1535 (MAHs, Cabinet de numismatique, n° 23080).
b – Sol de 1536 (MAHs, Cabinet de numismatique, n° 622).
c – Sol de 1539 (MAHs, Cabinet de numismatique, n° 623).
d – Sol de 1540 (MAHs, Cabinet de numismatique, n° 624).

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3. Ecu pistolet genevois de 1562, avec le trigramme «IHS» dans un cimier et portant la nouvelle devise «Post Tenebras Lux» (MAHs, Cabinet de numismatique, n° 1079). [Non reproduit]

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4. Les faux-monnayeurs au travail. Diebold SCHILLING, Luzerner Bilderchronik, 1513, p. 586. [Non reproduit]

7. Emprunts et revenus


La double révolution, politique et religieuse, opérée dès 1535 par les citoyens et habitants de Genève, cache une crise économique, non moins importante. La gestion des finances de la nouvelle Seigneurie s’avère difficile, face à l’importance des dettes antérieures. Le premier article du traité conclu entre Genève et Berne, le 7 août 1536, oblige les Genevois à payer, d’ici à Noël, leur dette de plus de 20’000 écus d’or, résultat de la guerre de 1530 et des frais de diplomatie des discussions de Payerne (n° 1).

AEG, Finances L 1

1. Emprunt contracté à Bâle, en 1530, et lacéré après son remboursement par la seigneurie de Genève, en 1536. Les sceaux sont ceux des magistrats engagés dans cet emprunt (AEG, Finances L 1)

L’urgence est telle que la Seigneurie constitue à cette occasion le trésor de l’Arche, uniquement destiné au remboursement de la dette, finalisé en 1537 (n° 2). Elle établit pour cela une série de mesures basées sur la confiscation des biens ecclésiastiques et ceux des bannis, traîtres et fugitifs, dont elle tire environ 10’600 écus d’or, en 1536; sur une politique judiciaire privilégiant les amendes, dont les droits d’entrée imposés aux fugitifs et aux bannis, pour un total de 1700 écus, complétés par les droits de bourgeoisie; et enfin sur un emprunt à 6%, contracté auprès de la population locale. Cet emprunt de 1536, quasi obligatoire, est assuré par une hypothèque sur les biens immobiliers et mobiliers saisis. La Seigneurie collecte ainsi près de 4400 écus, envers 300 personnes, en 7 mois, intégralement remboursés au bout de 8 ans.

Dès 1537, après le remboursement de la dette bernoise, le trésor de l’Arche est maintenu afin de financer les défenses de la ville. La Seigneurie rase les faubourgs, creuse des fossés et érige de nouvelles fortifications. Le coût, déjà colossal, est augmenté par la cherté des vivres, qui sévit à Genève et dans les pays voisins et qui oblige la Seigneurie à prendre des mesures restrictives et contraignantes, en ce qui concerne le vin et les céréales (n° 3).

Ces deux facteurs entraînent une nouvelle série d’emprunts, tous contractés, ou presque, auprès des créanciers bâlois, et dont le maximum est atteint en 1546, à hauteur de 36’500 écus, soit 29% des recettes annuelles pour les seuls intérêts (n° 4a et 4b). Ce n’est qu’en 1551 que la Seigneurie prend conscience de son terrible endettement et qu’elle décide de «se desbaler», comme le stipule la page de titre du registre de l’Arche.

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2. Détails du remboursement de la dette bernoise par les Genevois, effectué entre 1530 et 1537, pour un montant total de 20’500 écus soleil. Cette dette, contractée suite aux différentes guerres de 1530 à 1536, devait être payée d’ici à Noël 1536, comme stipulé dans l’article 1 du nouveau traité de 1536, signé entre Berne et Genève (AEG, Finances K 1, fol. 8v°-9). [Non reproduit]

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3. Placard du prix du pain, imprimé en 1545 par la seigneurie de Genève, pour limiter la hausse des prix, face à la cherté qui sévit à Genève et dans les pays circonvoisins (AEG, Placard). [Non reproduit]

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4a. Cartes des créanciers de Genève, en Suisse et à l’étranger, avant et après 1550, confirmant l’importance de Bâle (M. KÖRNER, Solidarités financières au XVIe siècle, p. 262, fig. 41). [Non reproduit]

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4b. Carte sur l’origine des capitaux privés dans les emprunts publics en Suisse (1500-1610), marquant la prédominance de la ville de Bâle (M. KÖRNER, Solidarités financières au XVIe siècle, p. 441, fig. 69). [Non reproduit]

8. Les traités de 1536


Délivrés momentanément des pressions savoyardes, les Genevois sont confrontés, dès le mois de février 1536, à de vieilles et à de nouvelles difficultés. Si le duc de Savoie est mis hors jeu pour un certain temps, il reste les Peneysans, les fugitifs, chassés de Genève par la Réforme et par la démolition des faubourgs, et la noblesse savoyarde, qui certes a prêté hommage aux nouveaux propriétaires du pays, mais qui n’entend pas se soumettre aux boutiquiers de la ville.

Une difficulté nouvelle procède du protectorat bernois: Genève est entourée de tous côtés par les bailliages créés par les Bernois à Gex, à Thonon et à Ternier – où le bailli réside à l’ancienne commanderie de Compesières. Comment les Genevois vont-ils assurer leur indépendance, alors que les Bernois ne cessent de rappeler le secours qu’ils leur ont apporté, que leur prédominance militaire est évidente, et que l’exemple de Lausanne, ancienne combourgeoise devenue chef-lieu d’un bailliage bernois, montre l’appétit de conquête de l’Ours de Berne?

Dix ans se sont écoulés depuis la conclusion, les 8 et 25 février 1526, de la combourgeoisie entre Genève, Berne et Fribourg. Le renouvellement de cette combourgeoisie, dans les conditions créées par la conquête du Pays de Vaud par les Bernois, sera l’occasion de pressions de la puissante république des bords de l’Aar, et de marchandages difficiles entre les deux combourgeois.

Après six mois de négociations, où les Genevois devront faire assaut de diplomatie et de fermeté, une nouvelle combourgeoisie est conclue le 7 août 1536, accompagnée d’un traité précisant les limites du pouvoir des Genevois. Limites dans l’espace – les Franchises sont élargies, mais les Genevois doivent renoncer au mandement de Gaillard – mais aussi limites dans l’exercice de la juridiction: si Genève conserve la haute juridiction dans la ville et sa banlieue, ainsi que dans les trois mandements de l’évêque, Peney, Jussy et Thiez, en revanche, elle devra partager le pouvoir avec Berne dans les anciennes terres du chapitre de Saint-Pierre et du prieuré de Saint-Victor. Ce partage du pouvoir, sur des territoires très morcelés, sera la source de difficultés séculaires entre Genève et ses voisins.

L’éphémère mandement de Gaillard

Le château de Gaillard et les terres et seigneuries qui en dépendaient appartenaient au duc de Savoie, mais l’évêque avait sur lui certaines prétentions. Au moment de la délivrance de Genève par les Bernois, les autorités genevoises s’efforcèrent de s’assurer cette position, essentielle pour la défense avancée de la cité. Le château se rendit dès que l’on y eut envoyé un châtelain, le 31 janvier 1536, et au cours du mois de février, les procureurs des villages de Romagny, de Foncenex, de Choulex, de Thônex, de Collonges, de Bellerive, de Vandœuvres, de Vésenaz, de Saint-Maurice vinrent à Genève reconnaître la prééminence des syndics, et une administration fut installée. Le château de Rouelbeau, ou de la Bâtie-Cholex, qui appartenait à Amé de Genève-Lullin, fut confisqué pour compléter et renforcer ce petit territoire. L’ensemble de cette châtellenie présentait pour Genève l’intérêt de relier la ville au mandement de Jussy et donc de désenclaver ce dernier.

Mandement de Gaillard (M. Berti)

Carte du mandement de Gaillard (essai de reconstitution par Marion Berti, Service cantonal d’archéologie).

Toutefois, le gouvernement de Berne ne l’entendait pas de cette oreille. Par le traité du 7 août 1536, Genève dut rendre à Berne, comme successeur du duc de Savoie, le mandement de Gaillard, en compensation de quoi Berne lui concéda un élargissement de ses franchises. C’est ainsi que, après qu’en 1567 Berne eut restitué au duc de Savoie les bailliages de Gex, du Chablais et de Ternier et Gaillard, Genève se trouva séparée de son mandement de Jussy par des terres ennemies et catholiques. Seul Vandœuvres, ancienne terre de Chapitre, resta genevois jusqu’à l’établissement de frontières «rationnelles» par le traité de Turin de 1754.

AEG, P.H. 1157

Traité entre Berne et Genève du 7 août 1536 (AEG, P.H. 1157).

Par ce traité, Berne assure à Genève la haute juridiction sur la ville et sur les mandements de Peney, de Jussy et de Thiez, mais reprend le mandement de Gaillard et en compensation élargit les Franchises en direction de Chêne et du Petit Saconnex.

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Le traité de combourgeoisie entre Berne et Genève du 7 août 1536.
Ce traité, qui renouvelle la combourgeoisie de 1526, prévoit que les bourgeois de chacune des deux villes doivent jouir des franchises de l’autre: c’est là le sens même de la combourgeoisie. Il prévoit un devoir d’assistance mutuelle défensive, ainsi que les procédures pour régler par le droit et à l’amiable les conflits qui pourraient survenir entre les deux villes (AEG, P.H. 1158). [Non reproduit]

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L’ours de Berne volant au secours de Genève. Illustration d’un traité philosophico-théologico-politique dédié à Hans Franz Naegeli par Jean-Louis Blécheret, docteur ès droits civil et canonique (Berne, Bibliothèque de la Bourgeoisie, mss. hist. helv. VI/51, f° 280 r°). [Non reproduit]
L’épée portant les mots Verbum Domini montre bien la portée missionnaire de la campagne militaire des Bernois. Quant au phylactère entourant l’ours, il s’agit du verset 23-24 du psaume 72 (numérotation de la Vulgate): «Tu m’as saisi la main droite; tu me conduis par ton conseil».

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Le château de Rouelbeau, un des centres de l’éphémère mandement de Gaillard (photographies du Service cantonal d’archéologie). [Non reproduit]

9. Les fortifications et l’artillerie


Si toute muraille participe à la défense de la ville qu’elle entoure, elle possède aussi un important rôle symbolique, le tracé de l’enceinte marquant le statut juridique de la cité. L’illustration de la Jérusalem céleste en est la meilleure preuve, puisqu’elle est fréquemment représentée avec des fortifications, malgré l’inutilité patente d’une telle protection.

Genève n’échappe pas à la règle puisque la question de sa défense sous-tend, à travers les siècles, toute l’histoire de la cité, non seulement celle de ses finances, mais celle de son développement en général, des relations entre le gouvernement et les citoyens et, finalement, du rapport de la ville avec son territoire. Lorsque les Conseils décident, après le départ du prince-évêque en 1535, de renforcer l’enceinte du XIVe siècle héritée de l’évêque Guillaume de Marcossay, ils revendiquent implicitement l’indépendance de Genève face aux puissances voisines que sont la Savoie et Berne.

Les travaux sur les fortifications nous sont connus par certains registres conservés par les Archives d’Etat. L’exemplaire exposé est le livre de comptes de Pernet de Fosses, ancien syndic et maître d’œuvres dès 1537 (n° 1).

AEG, Militaire M 1

1. Comptes des travaux sur les fortifications 1537-1538: quittances du maître d’œuvres P. de Fosses pour diverses fournitures concernant l’artillerie (AEG, Militaire M 1, fol. 96r°)

Trancription

1538
Livré à Pierre Gatens, serruriez, sus les chevillies qui faiet pour l’artellierie, qui sera sus bon comte et s’e[s]t le 4 jour de janviez 1538 5 ff.
Livré mes, aut desus-di Gatens pour se qui forgie aut belluar sus bon comte de luy et ses serviteur et s’e[s]t le 13 de janvier 1538, non pas sus ses jorné mes sus les chevillies desus excrites 5 ff.
Livré le 4 de janviez à mestre Glaude de Cré, serruriez, sus les chevilles qui faiet pour l’artellierie et qui sera sus bon comte 5 ff.
J’ay livré aut desus-di serreuriez de la fasson de une bende pour l’artellierie le 15 de janviez 4 s.
Livré mes, aut-desus-di Glaude de Cré, sus l’ovre des grand clo des affus qui e[s]t 24 piese et s’e[s]t le 30 de janvyez 7 ff.

Toutefois, cette mesure est aussi induite par le rapide développement de l’artillerie. Celui-ci impose la modification en profondeur des structures médiévales des remparts pour résister aux tirs de boulets de fer et non plus de pierres catapultées. La poudre engendre en effet une vitesse supérieure, alors que les tirs deviennent plus précis. L’invention du canon est néanmoins un avantage pour la défense des villes puisque, contrairement aux bombardes et aux trébuchets médiévaux, il permet de pratiquer un tir de flanquement parallèle aux murailles et d’empêcher ainsi l’ennemi de s’approcher.

Parmi ses illustrations aquarellées, Elzingre n’a pas manqué de peindre les travaux. Selon les bâtiments représentés, il pourrait s’agir de l’élévation soit du bastion de l’Oie (achevé en 1542), soit de celui de Saint-Léger (1544). La nouvelle enceinte ne sera opérationnelle qu’au début des années 1560. Et encore, Rive reste faiblement défendu et le bastion lacustre qu’est l’île aux barques (ou île Rousseau de nos jours) n’est achevé qu’en 1585 (n° 2).

AEG, Archives privées 279.20

2. Travaux sur les fortifications au XVIe siècle, par Elzingre (AEG, Archives privées 279.20)

Quant aux illustrations contemporaines de ceux-là, il en existe peu. La «Vue générale depuis Saint-Jean» (n° 3) est l’une des rares représentations connues de la porte de la Corraterie, porte n’ayant subsisté qu’une vingtaine d’années.

En 1568, Barthélemy Passon offre à la Seigneurie un plan des murailles (n° 4), relevé fait de mémoire d’après celui que ce Piémontais d’origine avait réalisé en 1560 à l’intention du duc de Savoie.

Si le flanc sud de l’enceinte est bien documenté iconographiquement suite à l’Escalade de 1602, il n’en est pas de même du flanc est. Ce dernier a fait l’objet de nombreuses fouilles du Service cantonal d’archéologie. Quelques clichés de la campagne de 1995 (parking de Saint-Antoine) sont exposés (n° 5).

Le thème de l’artillerie est illustré par la reproduction d’un dessin de Diebold Schilling tiré de la Luzerner Bilderchronik (1513) (n° 6).

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3. Genève, vue générale depuis Saint-Jean, vers 1550 (C.I.G., VG 3900). [Non reproduit]

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4. Plan des murailles de Genève en 1560, levé de mémoire par Barthélemy Passon en 1568 (AEG, P.H. 1860bis). [Non reproduit]

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5a. Vue générale des fouilles de la promenade de Saint-Antoine. Fouilles réalisées lors de la construction du parking de Saint-Antoine (photographie Service cantonal d’archéologie, 1995). [Non reproduit]

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5b. Chambre de tir du bastion de Saint-Antoine (photographie Service cantonal d’archéologie, 1995).[Non reproduit]

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5c. Bastion de Saint-Antoine (photographie Service cantonal d’archéologie, G. Zoller, 1995). [Non reproduit]

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6. Exemples d’artillerie du XVIe siècle. (Diebold SCHILLING, 
Luzerner Bilderchronik , fac-similé. [Non reproduit]

10. Relations avec Berne


L’arrivée aux portes de Genève des troupes bernoises, conduites par le capitaine Hans Franz Nägeli (n° 1), le 2 février 1536, détermine l’avenir de la communauté genevoise. Rendue obligatoire par le traité de 1526, l’intervention aurait bien pu se terminer par l’annexion de la ville, comme il en a été des pays de Gex et de Vaud. Mais grâce à une situation géopolitique privilégiée, Genève put garder une certaine indépendance.

Sous la pression du roi de France, les Bernois laissent le pouvoir de la ville à la communauté, non sans contreparties. La double souveraineté sur la moitié des territoires avoisinants constitue l’essentiel du traité de 1536 (n° 2). Cependant, par divers conseils, ils s’immiscent dans les affaires de la cité, suggèrent la destruction des faubourgs de Genève, à l’origine de l’exil de nombreux habitants, sermonnent les Genevois au sujet de leur école, de leur Hôpital ou de leur absence de consistoire, et tentent d’imposer leur vision de la Réforme.

Jusqu’à l’affaire des Artichauts et du traité de 1539, les Genevois se soumettent, sans trop de réticence, au «protectorat» bernois (n° 3). Ceux-ci sont consultés pour les affaires religieuses et politiques, en particulier avec le roi de France. Mais suite à la perte du mandement de Thiez, faite avec l’aval de Berne, et à la difficile cohabitation avec les baillis bernois, les Genevois prennent leurs distances. Avec le désaccord sur le nouveau traité de 1539, qu’ils refusent de signer, ils finissent par irriter leur puissant protecteur. Aussi l’avoyer de Berne répond-il, au sujet des infractions de juridiction d’un de ses baillis qu’il «ne faisait rien sans leur commandement et qu’il nous [les Genevois] dusse piquer d’avantage et ne nous a pas piqués assez, car nous le méritons bien et que nous sommes fiers et que n’avons rien voulu faire pour eux, mais qu’ils mettront en avant leur force et puissance…».

D’un autre côté, malgré l’avertissement de l’Empereur, qui tente en août 1540 d’interdire à ses sujets de Genève de prêter hommage aux Bernois (n° 4), ceux-là cherchent obstinément à trouver un accord avec les alliés et combourgeois de Berne. Finalement, grâce à la médiation des Bâlois, les relations entre les deux seigneuries s’apaisent et Genève peut enfin atteindre à l’indépendance.

AEG, P.H. 1236

4. Lettre de l’empereur Charles V, adressée le 8 août 1540 de la Haye aux Conseils et aux citoyens de Genève, pour leur défendre de prêter fidélité et hommage aux seigneurs de Berne (AEG, P.H. 1236)

Transcription

Carolus divina favente clementia Romanorum Imperator Augustus etc.

Honorabiles, fideles, dilecti ! Relatum nobis est vos serio sollicitari ad praestandum honorabilibus nostris et Imperii sacri fidelibus dilectis, N. Sculteto et Consulibus civitatis Bernensis fidelitatem et homagium, et quamvis non possimus adduci, ut credamus vos ad eam inobedientiam delapsuros ut, in praejudicium nostrum et sacri Romani Imperii, cuiquam alteri fidelitatem praestare velitis, nihilominus tamen ea de re seorsim vos monere voluimus, vos serio requirentes et sub paena gravissimae indignationis nostrae mandantes, ut a praestando dicto juramento fidelitatis omnino abstineatis, neque in diversam sententiam ullo modo eatis, aut vos adduci sinatis ; quin potius in nostra ac sacri Imperii fide, et obedientia debita perseveretis. Quod etsi nobis persuademus vos facturos, et huic jussui nostro parituros, ut par est, nihilominus tamen a vobis petimus ut animi vestri voluntatem nobis literis vestris significetis, ut ea cognita providere possimus quemadmodum pro exigentia rei expedire judicaverimus. Scribimus etiam praefatis Bernensibus, ut et ipsi pro sua parte ab eo consilio velint abstinere, neque dubitamus quin etiam voluntati nostrae morem sint gesturi. Quod vobis ob id significandum duximus, ut in hac re vos ita gerati ne vobis ulla culpa possit imputari, facturi in eo voluntatem nostram expressam.

Traduction

Charles, par la grâce de Dieu, empereur des Romains.

Très honorés, chers et fidèles, il nous a été rapporté que vous étiez très fortement pressés de prêter serment de fidélité et hommage à nos très honorés et chers Avoyer et conseils de la cité de Berne, et bien que nous ne puissions être induit à croire que vous en veniez à ce point de désobéissance, que vous consentiez à jurer fidélité à qui que ce soit, à notre préjudice et à celui du Saint-Empire Romain, cependant nous avons voulu vous avertir tout particulièrement, vous signifiant énergiquement que, sous la peine de notre très grande indignation, vous vous absteniez complètement de prêter ledit serment, et que vous ne vous laissiez détourner d’aucune façon, mais que vous demeuriez dans la fidélité et l’obéissance que vous devez à nous et à l’Empire. Bien que nous soyons persuadé que vous vous conformerez à cet avertissement, nous vous demandons de nous faire connaître par lettre votre intention, pour que nous puissions aviser aux mesures qu’exigeront les circonstances. Nous écrirons pareillement aux Bernois que, de leur côté, ils aient à renoncer à leur dessein et nous ne doutons pas qu’ils ne se rangent de même à notre volonté.

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1. Portrait de Hans Franz Nägeli (Berne, Bibliothèque de la Bourgeoisie de Berne, XVIe). [Non reproduit]

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2. Carte des bailliages bernois et des territoires genevois (Service cantonal d’archéologie, Marion Berti). [Non reproduit]

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3. L’armée bernoise venant au secours de Genève. Dessin tiré d’un mémoire philosophico-historique du juriste lausannois Jean-Louis Blécheret, en hommage à Hans Franz Nägeli (Bibliothèque de la Bourgeoisie de Berne, Mss. hist. helv., VI/51, fol. 277r°). [Non reproduit]

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5. Reconstitution du plan cadastral des faubourgs de Genève en 1477, superposé au plan de la ville en 1919, réalisée par Louis Blondel. Les faubourgs seront rasés dès 1535, sur le conseil des Bernois, au profit des fortifications et d’un meilleur guet (S.H.A.G, Mémoires et documents, n° 5, plan hors texte). [Non reproduit]

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6. Vue panoramique et nomenclature de Genève (depuis le bois de la Bâtie). A Paris, chez Crepy, rue St-Jacques à l’ange gardien. (AEG, Archives privées 247/I/57, coll. Dumur). [Non reproduit]

11. La perte du mandement de Thiez


Les trois mandements de Peney, Jussy et Thiez ont relevé de l’évêque de Genève jusqu’à l’établissement de la Réforme en 1536, date à laquelle ils ont passé à la Seigneurie. Le mandement de Thiez, qui comprend les paroisses de Bogève, Ville-en-Sallaz, Viuz-en-Sallaz et Saint-André, forme une enclave genevoise dans le Faucigny (n° 1a et 1b), apanage donné par le duc de Savoie Charles III à son frère Philippe, époux de Charlotte d’Orléans, cousine de François Ier, et passé sous le protectorat de ce dernier en 1536.

Le 12 février 1536, le Conseil a reçu une lettre de Charlotte d’Orléans (n° 2), par laquelle elle revendique des droits sur Thiez, soutenue par le roi de France. Jusqu’en 1539, les relations entre elle et Genève seront constamment troublées par des conflits portant principalement sur les droits de juridiction d’une part et sur la perception des revenus ecclésiastiques genevois en Faucigny d’autre part. En 1539, François Ier propose aux magistrats genevois de conclure un accord au sujet des biens ecclésiastiques et de leurs dépendances. Cette proposition, cependant, lèse Genève qui ne possède aucun bénéfice dans les terres du roi de France qui, le 4 juillet, ordonne la saisie des biens ecclésiastiques situés en Genevois et en Faucigny.

Jusqu’en 1544, le gouvernement tente sans succès de récupérer le mandement de Thiez, s’adressant au roi de France directement ou par l’intermédiaire de Berne. A la fin du mois de mars, il envoie auprès de François Ier deux ambassadeurs, qui, en mai, obtiennent du Roi des lettres patentes restituant le mandement de Thiez à Genève, réservés les droits de tiers et à condition de ne rien innover en matière de religion (n° 3). Le Sénat de Chambéry, toutefois, ne les enregistre pas et demande à Genève de prouver qu’elle a possédé et a été spoliée du mandement de Thiez. Le Conseil décide de renvoyer un ambassadeur en France, qui obtient, au mois de septembre, de nouvelles lettres de François Ier (n° 3). Mais, sous prétexte qu’il ne s’agit pas de lettres patentes, le Sénat de Chambéry les récuse. Renvoyé en France, l’ambassadeur parvient à obtenir des lettres patentes du Roi en décembre, que le Sénat, pour de nouveaux motifs, refuse encore de ratifier. Dès lors, Genève renonce à poursuivre ses droits.

AEG, P.H. 1326

3. Lettres patentes du roi de France restituant le mandement de Thiez à Genève, 23 mai 1544 (AEG, P.H. 1326), éd. dans GAUTIER, J.-A., Histoire de Genève, Genève, 1896, t. 3, pp 202-203.

Transcription

François, par la grâce de Dieu, roi de France, duc de Savoie, à nos aimés et féaux les président et conseillers tenant notre cour de parlement de Savoie siégeant à Chambéry, salut et dilection. Nos très chers et bons amis les syndics et Conseil de la ville, cité et communauté de Genève nous ont fait dire et remontrer par leurs deputés qu’ils ont envoyés devers nous, que ces jours passés vous avez saisi, mis et réduit en notre main la terre et seigneurie de Thiez (…). Pour ce, est-il que nous, ce consideré, inclinant libéralement à leur supplication et requête (…) vous mandons, commettons et enjoignons par ces présentes que, si ainsi est que depuis la dite réduction en nos mains du dit pays de Savoie, ils aient tenu et possedé la dite terre et seigneurie de Thiez comme à eux appartenant, étant de leur dit domaine, (…) les mainmise, saisissement et tout autre empêchement sur ce mis et apposé de votre autorité (…) levons et ostons à pur et à plain, [laissant] les dits syndics et communauté de Genève en leur dite possession jouir et user pleinement et paisiblement d’icelle terre et seigneurie de Thiez, droits, profits, revenus et émoluments y appartenant, sans sur ce plus les troubler ni empêcher, (…) sauf toutefois le droit de qui appartiendra quant à la propriété de la dite terre et à la charge aussi qu’ils ne innoveront ni introduiront (…) aucune chose touchant le fait de la religion, car tel est nostre plaisir. Donnée à St-Germain en Laye, le XXIIIe jour de mai l’an de grâce mille cinq cent quarante quatre et de notre règne le trentième.

Par le Roy, vous, le Sr de Chemans, garde des sceaux, présent

De L’Aubépine

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1a. Situation géopolitique de la région. MARIOTTE, J.-Y. et PERRET, A.,
Atlas historique français. Savoie, Paris, 1979, planche XXIX/1. [Non reproduit]

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1b. Situation du mandement de Thiez. Montage d’après J. GABEREL,
Histoire de l’Eglise de Genève, 1re éd., Genève, 1855, t. 2, in fine. [Non reproduit]

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2. Lettre de Charlotte d’Orléans (11 février 1536) (AEG, P.H. 1149/6), éditée dans R.C. impr., t. XIII, p. 438, n. 2. [Non reproduit]

12. Les Artichauts


Le 3 avril 1539, Jean Lullin, Jean-Gabriel Monathon et Ami Chappeau Rouge, de retour d’ambassade à Berne, proposent devant le Petit Conseil, «comment jouxte leur charge, [ils] ont fait du mieux». Or, le 5 juin 1540, ils sont inculpés pour avoir trahi la Seigneurie, condamnés par contumace et tous leurs biens sont saisis (n° 1 et 2). De leur signature des articles vient leur surnom d’Articulants, rapidement transformé en Artichauts. Mais pourquoi avoir attendu une année?

AEG, P.H. 1229 B

1. Extrait de la 7e et dernière instruction à l’encontre des Articulants, faite le 14 mai 1540, en leur absence. L’ancien châtelain de Saint-Victor, Dominique d’Arlod, premier des 32 témoins, y confirme que les accusés se sont référés à des instructions écrites de la main d’Ami Chappeau Rouge, autres que celles données par les Conseils (AEG, P.H. 1229 B).

Transcription

(fol. 13)
Les tesmoings examinés à l’instance de monsr le lieutenant et du procureur general contre Amyed Chappeau Rouge, Johan Lullin et Johan-Gabriel Monathon, lesqueulx ce quatorziesme de may mil cinq centz quarante, ont juré, es maiens de Messieurs, de testiffié la pure verité sus cella que leur sera demandé, touchant les articles par lesdictzs instantzs produyctz

Et premierement, noble Domengne d’Arlod, de l’eage de quarante ans, de bonne memoyre etc., lequelt, par son seyrement, depose premierement sus le premier [les oppressions subies par Genève] et second article [les citoyens et habitants sont désireux de vivre en paix] depose iceulx estre veritables, notoyres et manifest.
Sus le tier [la citoyenneté des Articulants et leur connaissance des oppressions] depose qu’ilz sont citoyens et croyt qu’ilz sont et ont estés informés des oppressions mentionés audict article.
Sus le quart [leur devoir de favoriser le salut public, la paix et la tranquillité], depose qu’ilz debvoyent observer le contenus.
Sus le 5 [les Articulants ont été oublieux de leur devoir en diverses manières], depose n’en scavoier aultre.
Sus le 6 [la nécessité, pour tous, de rester vigilant], depose icelluy veritable.
Sus le 7 [la nécessité de suivre les instructions des Conseils, pour le bien commun], depose estre veritable.
Sus le 8 [la signature des articles par les Articulants, contre l’honneur qui leur était fait et de leur propre autorité, outrepassant leur charge], depose que les troys intitulés ont articulés comment s’appart par les articles (fol. 13v°), se refferissant aux articles et instructions de leur aucthorité privees fayctes, escriptes de la maien de Amyed Chappeau Rouge.
(…)

Le traité de 1536 entre Genève et Berne est source de trop nombreux différends entre les deux seigneuries pour pouvoir être maintenu. La rédaction d’un nouveau traité devient nécessaire. Après plusieurs rencontres, il est finalisé sous la houlette du germanophone Jean Lullin, partisan de la cause bernoise.

Rappelons que c’est bien sous la pression de Jean Philippe et des Lullin, que Calvin et Farel sont bannis en 1538 et que le Petit Conseil devient pro-bernois, en 1539. Aussi, au retour des ambassadeurs, le Petit Conseil ne prend pas le soin de lire le traité nouvellement signé. N’avait-il pas accordé «omnimode puissance sur le tout [à ses ambassadeurs], selon leur bonne conscience»!

Mais suite à plusieurs plaintes et réclamations du parti adverse, conduit par Michel Sept et Claude Savoye, favorables à Calvin, confortées par les continuelles infractions de juridiction des baillis bernois qui appliquent le nouveau traité, la Seigneurie de Genève en demande la traduction et s’aperçoit de l’ampleur des dégâts. Le pouvoir change de mains et Calvin est rappelé.

Cependant la teneur des articles ne peut être seule responsable. Outre les tensions entre les deux partis genevois, les prétentions bernoises sont au centre du débat. On peut lire en filigrane, à travers les derniers articles, les tentatives et tentations d’annexion des «très redoutés combourgeois de Berne», qui soutiennent dans un premier temps les Articulants, mais, faute de parvenir à un accord avec les Genevois, acceptent l’arbitrage de Bâle (n° 3a, 3b et 3c). Plus encore, ils préfèrent, devant l’échec de leur politique, favoriser le retour de Calvin, afin de maintenir la religion réformée à Genève, plutôt que l’abandonner au «papisme».
Par la signature du second «Départ de Bâle», le 3 février 1544, l’affaire est temporairement réglée et les relations retrouvent une certaine sérénité.

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2. Volumineux dossiers du procès des Articulants, des inventaires de leurs biens et des marches de Lausanne données suite à cette affaires (AEG, P.C. 2e série 484 et 484bis; P.C. ann. 3 et 3bis, et P.H. 1231). [Non reproduit]

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3a. Vue de Bâle au XVIe siècle. Bois gravé de la
Chronique de Iohann STUMPF (1547-1548), fol. 389r°. [Non reproduit]

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3b. Vue de Berne au XVIe siècle. Bois gravé de la
Chronique de Iohann STUMPF (1547-1548), fol. 248v°. [Non reproduit]

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3c. Vue de Genève vers 1550. Gravure sur bois de H. R. Manuel DEUTSCH, pour la
Cosmographia Universalis de S. MUNSTER, 1550 (AEG, Archives privées 247/I/90). [Non reproduit]

13. Le Départ de Bâle


Le refus des Genevois de souscrire au traité négocié en 1539 par les Artichauts (n° 1) créait une difficulté majeure dans les relations entre Genève et la puissante république des bords de l’Aar. Le Conseil de Berne ne pouvait admettre que des députés, munis à leur avis des pleins pouvoirs et pourvus d’instructions précises, fussent désavoués par leurs mandants, et qu’un traité signé et scellé fût refusé à Genève plusieurs mois après son adoption à Berne.

Du côté genevois, l’appétit de puissance de Berne, que l’on peut lire distinctement dans le traité, avec la répétition obsédante des mots «haute souveraineté», a évidemment provoqué un sursaut d’indignation et ranimé les aspirations à l’indépendance. Mais il fallait surtout ramener l’entente entre les deux combourgeois, car le refus genevois de se plier au diktat de Berne avait créé une véritable crise.

En cas de conflit, le traité de combourgeoisie de 1536 prévoyait une procédure de «marche»: les deux parties devaient exposer leurs arguments respectifs devant une sorte de tribunal composé de quatre juges choisis par les parties, chacune deux. Plusieurs de ces marches eurent lieu à Lausanne à ce sujet, entre 1539 et 1541, sans autre résultat que de renvoyer les deux villes dos à dos, les juges donnant raison aux parties qui les avaient désignés.

Les parties recoururent donc à l’arbitrage de MM. de Bâle, qui voyaient avec inquiétude un conflit majeur se développer dans leur voisinage, aux marges de la Confédération. Sous la présidence du «surarbitre» Bernard Meyer, membre du Conseil de la Ville de Bâle, plusieurs juristes et hommes politiques bâlois firent le déplacement de Genève et étudièrent attentivement tous les traités, les actes de la pratique, et écoutèrent les arguments des uns et des autres.

La principale difficulté venait de l’enchevêtrement des juridictions dans la campagne, dans les terres de l’ancien prieuré Saint-Victor et dans celles du Chapitre, sur lesquelles, en tant que successeurs du duc de Savoie, les Bernois prétendaient exercer la haute souveraineté (n° 2); ils concrétisaient cette prétention par de nombreuses intrusions de leurs baillis de Ternier et de Gex sur ces terres. Les propositions des arbitres Bâlois, visant à simplifier cette situation, qu’ils appelaient eux-mêmes un «labyrinthe», furent repoussées par les deux parties. Mais plusieurs autres problèmes se posaient, notamment celui de l’appui que Berne accordait aux fugitifs et réfractaires genevois.

Après d’interminables débats, un premier «départ» fut proposé par les arbitres au début de 1542. Il était plutôt favorable aux désirs des Genevois, surtout si on le compare au traité des Artichauts de 1539. Il fut donc refusé par Berne, malgré quelques concessions genevoises. Les négociations reprirent une année plus tard, à Berne, et aboutirent, au tout début de 1544, au fameux Départ de Bâle (n° 3), la base de toutes les relations entre Genève et ses voisins jusqu’aux traités de limites de 1749 et 1754.

AEG, P.H. 1319

3. Version définitive du Départ de Bâle du 3 février 1544 (AEG, P.H. 1319).

Le terme de «départ» est la traduction française de l’allemand Abscheid, terme qui désigne les procès-verbaux des diètes générales ou particulières des cantons suisses, que l’on remettait aux députés au moment de leur départ. Ce document, fruit d’une longue et difficile négociation, est muni du petit sceau de Berne, du sceau commun de Genève, et des sceaux particuliers des quatre arbitres bâlois, Theodore Brand, maître des corporations , Bernard Meyer, banneret, Blaise Scholle et Jacob Rüd, membres du Conseil de Bâle.

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1. Texte français du traité négocié par les Articulants en mars 1539. Ce texte est accompagné de commentaires reflétant la position des Genevois. La version originale en allemand manque aux Archives d’Etat de Genève, mais elle est conservée aux Archives d’Etat de Berne (AEG, P.H. 1209). [Non reproduit]

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2. Carte des anciennes terres de Saint-Victor (en orange) et du Chapitre (en rose) dans la région genevoise. On observera l’extrême fractionnement de ces terres, dont le tissu très lâche et le statut disputé fragilisait la position de Genève par rapport à ses voisins, Berne, puis la Maison de Savoie (carte élaborée par Marion Berti, Service cantonal d’archéologie). [Non reproduit]

14. François Bonivard et son prieuré de Saint-Victor


Issu d’une noble famille vassale des ducs de Savoie, François Bonivard considérait le prieuré Saint-Victor, situé aux portes de Genève, comme un bien de famille – puisque ses oncle et grand-oncle avaient déjà été prieurs commendataires de ce riche établissement religieux. Et même il estimait avoir des droits héréditaires sur les autres bénéfices cumulés par son oncle Jean-Amé. Mais à la mort de ce dernier, en 1514, il n’eut que Saint-Victor, et en conçut une haine déclarée à l’égard de la maison de Savoie.

Cela explique en partie son attachement à la cause des libertés genevoises contre le duc de Savoie, et aussi la plupart de ses malheurs. Emprisonné une première fois en 1519, forcé de résigner son prieuré, il s’en repent bientôt et cherche par tous les moyens à en récupérer les revenus. C’est au cours de ces démarches quelque peu désordonnées, qu’il sera arrêté une seconde fois et enfermé au château de Chillon, où il croupit six ans durant, jusqu’à sa délivrance par les Bernois au printemps 1536.

De retour à Genève, où son prieuré a été détruit pour faciliter la défense de la ville, il reprend ses démarches. Arguant de tous les sacrifices qu’il a faits en faveur des libertés de Genève, assisté par les Bernois, avec lesquels il a de nombreuses affinités, il réclame à la Seigneurie exsangue une riche pension et le remboursement de ses dettes. Reçu gratuitement à la bourgeoisie de Genève et nommé membre du Conseil des Deux Cents, il n’obtiendra finalement qu’une pension annuelle de 200 écus et la jouissance d’une maison à la rue des Chanoines (actuelle rue Calvin). C’est là qu’il mourra en 1570 ou 1571, après une vie de travail intellectuel, historique et philologique.

AEG, Titres et droits Ea 7

La «grosse» de Saint-Victor, un document familial des Bonivard? (AEG, Titres et droits Ea 7)

En tête des reconnaissances féodales (soit du registre foncier) reçues en 1461 en faveur du prieuré Saint-Victor, le prieur Urbain Bonivard a fait dessiner les armes de sa famille. En effet, il avait succédé dans ce prieuré à son oncle maternel Jean de Grolée, et son neveu Jean Amé, puis son petit-neveu François Bonivard devaient lui succéder dans cette qualité de prieur.

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La donation par François Bonivard des revenus du prieuré Saint-Victor aux hôpitaux de Genève, de Berne et de Fribourg du 18 janvier 1528. On remarquera que le sceau authentifiant le document est celui du prieur François Bonivard, avec ses armoiries familiales, et non celui du prieuré, qui porte la figure de saint Victor portant sa tête (AEG, P.H. 998). [Non reproduit]

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Bref du pape Clément VII, du 24 janvier 1528, ordonnant au Chapitre de Saint-Pierre de remettre Léonard Tornabuoni en possession du prieuré Saint-Victor. François Bonivard n’avait en effet pas la possibilité de remettre son prieuré aux hôpitaux, puisqu’il y avait renoncé en 1519, et que, son successeur étant mort en Cour de Rome, le pape l’avait attribué à Léonard Tornabuoni, évêque de Borgo San Sepulcro, son parent (AEG, P.H. 1001). [Non reproduit]

15. L’oeuvre historique et littéraire de Bonivard


Bonivard ne serait, dans la mémoire historique, qu’un trublion un peu frustré par la Réforme, s’il n’avait laissé une œuvre historique, politique et philologique abondante et fort intéressante. Sa formation humaniste, fait peu fréquent dans la Genève pré-réformée, l’a sans doute prédisposé à s’intéresser à l’histoire, celle du passé et celle de son temps, et à développer une réflexion philosophique sur les révolutions qu’il a vécues à Genève durant toute la première moitié du XVIe siècle.

En 1517, Bonivard était déjà «poeta laureatus», poète couronné de laurier. Mais c’est surtout après son retour de captivité et à l’occasion de ses démêlés avec la Seigneurie de Genève pour récupérer les revenus de son prieuré qu’il se lance dans les travaux philologiques – un dictionnaire trilingue, français–latin–allemand en particulier – et surtout dans la recherche historique.

Chargé à la fin de 1542 de reprendre un projet de chronique de Genève interrompu par la mort d’Ami Porral, il y travaille durant plusieurs années, mais dès 1550, le parti anti-calvinien au pouvoir le censure, et sa chronique tombera dans l’oubli pour près de deux siècles. Mais passionné par sa tâche, et approfondissant toujours plus ses réflexions, Bonivard rédige une nouvelle version de sa chronique, aujourd’hui conservée à Turin, et surtout, il compose une série de traités partie juridiques, partie historiques, partie philosophiques, qui constituent autant de témoignages sur l’évolution phénoménale qu’ont subie les institutions genevoises au cours du XVIe siècle.

AEG, Archives privées 279.12

Bonivard délivré de sa prison de Chillon par les troupes bernoises au printemps 1536. Aquarelle par Edouard Elzingre, préparée pour illustrer l’ouvrage d’Alexandre Guillot, Le siècle de la Réforme à Genève, paru en 1917 (AEG, Archives privées 279.12).

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La première version, autographe, des Chroniques de Genève de Bonivard. Terminée en 1548, cette chronique ne put être publiée du vivant de l’auteur, à cause de la censure et de l’opposition du gouvernement d’alors. Mais elle est largement connue par des éditions publiées au XIXe siècle (AEG, Ms hist. 1). [Non reproduit]

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Manuscrit autographe de l’«Advis et devis des difformes Reformateurs, suivis des advis et devis de mençonge au temps present et des vrays ou faux miracles», ouvrage daté de 1562. Bonivard y démontre une connaissance approfondie de la littérature politique et religieuse de son temps aussi bien en France qu’en Allemagne luthérienne, et une longue réflexion, nourrie par l’expérience, sur le problème de la Réforme. Mais surtout, il y dénonce les motivations douteuses – à ses yeux – des «pères» de la réforme genevoise, à son avis pas plus vertueux que les membres du clergé catholique dont ils convoitaient les richesses (AEG, Ms hist. 4). [Non reproduit]

16. Guillaume Farel et Jean Calvin


Guillaume Farel (1489-1565)

Guillaume Farel (n° 1) est né en 1489 à Gap, en Dauphiné. En 1509, année où naît Jean Calvin, il se rend à Paris pour y faire des études de lettres. En 1517, il obtient le grade de maître ès arts.

Son premier séjour à Genève remonte à septembre 1532. Voici comment Jeanne de Jussy décrit sa venue: «Au mois d’octobre après, 1532, vint à Genève un chétif malheureux prédicant nommé maître Guillaume, natif de la cité de Gap en Dauphiné». A peine arrivé, il se met à prêcher, rencontrant aussitôt l’opposition des autorités religieuses. Convoqué devant le Conseil épiscopal, il tente en vain de justifier sa venue et est même interrompu par des menaces de mort (n° 2). Expulsé de la ville le 3 octobre, ce n’est que grâce à l’intervention de l’un des syndics présents qu’il échappe à un coup d’épée.

Le 20 mars 1533, les Bernois écrivent aux autorités genevoises en faveur de Guillaume Farel (n° 3), qui retourne à Genève le 20 décembre de la même année. Il se met à organiser le culte réformé sur la base de sa liturgie parue à Neuchâtel en 1533. Le dimanche de Pâques (5 avril) 1534, ce ne sont pas moins de quatre cents personnes qui reçoivent la Cène des mains de Guillaume Farel au couvent de Rive.

Afin de consolider les progrès des idées nouvelles, les réformateurs demandent l’organisation d’une dispute qui a lieu à Rive dans le courant du mois de juin 1535. Elle voit le triomphe de la cause évangélique et est suivie de l’abolition de la messe le 10 août 1535 et de l’adoption de la Réforme le 21 mai 1536. Guillaume Farel a atteint son but, mais il reste à doter la nouvelle Eglise d’une structure. Prédicateur passionné plutôt qu’organisateur, Guillaume Farel laissera cette tâche à Jean Calvin.

AEG, P.H. 1090

3. Lettre de Berne en faveur de Guillaume Farel (20 mars 1533) (AEG, P.H. 1090). Editée dans Herminjard, A.-L., Correspondance des Réformateurs dans les pays de langue française, recueillie et publiée avec d’autres lettres relatives à la Réforme et des notes historiques et biographiques, t. 3, n° 411, pp. 31-34.

Jean Calvin (1509-1564)

Né à Noyon, en Picardie, en 1509, Jean Calvin (n° 4) est destiné à la prêtrise et est d’ailleurs pourvu de deux bénéfices ecclésiastiques en 1521, à l’âge de douze ans. Il fait des études classiques à Paris, où il découvre la pensée humaniste, avant de se tourner, poussé par son père, vers le droit, qu’il étudie à Orléans puis à Bourges, où il entre en contact avec les idées réformées. A la mort de son père en 1531, il retourne à Paris avec l’intention d’y poursuivre ses études de lettres.

C’est en 1533 que l’on place habituellement la conversion de Jean Calvin à la Réforme. Cette année-là, il participe à l’écriture du discours prononcé à la rentrée par le recteur de l’Université de Paris, Nicolas Cop, érasmien notoire et défenseur de l’ouvrage de Marguerite de Navarre, sœur du roi de France, qui a été condamné par la Sorbonne. Le Parlement de Paris ordonne l’arrestation de Cop et de Calvin qui est contraint de s’enfuir.

En octobre 1534, de petites affiches rédigées par Antoine Marcourt, contenant une attaque violente contre la messe, sont placardées à plusieurs endroits dans Paris et même sur la porte du roi de France au château d’Amboise. La répression qui suit l’affaire des Placards oblige Jean Calvin à quitter la France.

Réfugié à Bâle, il approfondit son étude des écrits de Luther et élabore sa propre théologie, exposée en six chapitres dans l’Institution de la religion chrestienne, dont la première édition latine paraît en 1536. Dès lors, il n’aura de cesse de retravailler et de compléter cette œuvre majeure. En 1539 paraît une deuxième édition latine en dix-sept chapitres et, en 1559, la version définitive, comportant quatre-vingts chapitres, divisés en quatre livres. En 1541 (n° 5), une version française du texte de 1539 est publiée et, en 1560, celle du texte de 1559.

Parti à Paris pour régler des affaires familiales, il compte se rendre ensuite à Strasbourg pour y continuer ses études. La route directe étant fermée en raison des guerres, il doit faire un détour par Genève.

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1. Portrait de Guillaume Farel. Gravure de Carl Barth, dans Guillaume Farel (1489-1565). Biographie nouvelle, pl. VI/1. [Non reproduit]

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2. Débuts de Guillaume Farel à Genève (1532). Roset, M., Les chroniques de Genève, publ. par H. Fazy, Genève, 1894, pp. 163-165. [Non reproduit]

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4. Portrait de Jean Calvin. Gravure sur cuivre hollandaise, dans E. Doumergue,
Iconographie calvinienne, Lausanne, 1909, p. 31. [Non reproduit]

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5.
Institution de la religion chrétienne de Jean Calvin (1541). Réédition sous la dir. de A. Lefranc par H. Chatelain et J. Pannier, Paris, 1909, avec un fac-simile du titre (BPU, T 46149). [Non reproduit]

17. Farel et Calvin à Genève


Le duo Guillaume Farel et Jean Calvin à Genève (1536-1538)

Jean Calvin arrive à Genève en juillet 1536. Averti de sa venue, Guillaume Farel va le voir pour lui demander de rester et l’aider à asseoir la Réforme qu’il est parvenu à faire adopter deux mois auparavant et à organiser la nouvelle Eglise. Jean Calvin est mentionné pour la première fois dans les registres du Conseil le 5 septembre 1536, comme «ille Gallus», «ce Français» (n° 1). Débutant ses activités à Genève comme lecteur des Saintes Ecritures, il est rapidement nommé ministre.

Le 10 novembre 1536, Guillaume Farel se présente devant le Grand Conseil pour proposer plusieurs articles qu’il a élaborés avec Jean Calvin pour asseoir la nouvelle Eglise réformée. Ces articles comprennent des mesures disciplinaires visant à assurer la célébration décente de la Cène ainsi que l’obligation faite à chacun de faire une confession de foi, qui provoquent le mécontentement d’une partie de la population genevoise.

Au début de 1538, les élections portent au pouvoir les opposants des ministres, qui, le 11 mars, font adopter par le Conseil l’unification cérémonielle avec Berne. Interrogés le 19 avril sur leur intention en la matière, Jean Calvin et Guillaume Farel répondent que «totalement ne veulent prêcher ni donner la Cène à la forme de la dite missive» sans plus ample discussion. Le 21 avril, jour de Pâques, Jean Calvin et Guillaume Farel refusent d’administrer la Cène et, malgré l’interdiction qui leur a été faite, montent tous deux en chaire, le premier à Saint-Pierre, le second à Saint-Gervais. Aussi le 23 avril, le Conseil général décide-t-il de leur bannissement de la ville dans les trois jours (n° 2).

Jean Calvin et Guillaume Farel tentent de se justifier auprès du Conseil de Berne (n° 3), qui écrit en leur faveur au Conseil de Genève, mais sans succès. Guillaume Farel se rend à Neuchâtel qu’il ne quittera plus, à l’exception de quelques voyages, et Jean Calvin part pour Bâle, avant d’être appelé à Strasbourg par Martin Bucer.

Le retour de Jean Calvin à Genève (1541-1544)

Les partisans des ministres bannis remportent la majorité aux élections genevoises de février 1540 et les rappellent à Genève. Le jour même de son retour, le 13 septembre 1541, Jean Calvin se met au travail pour «mettre ordre sur l’Eglise», si bien que le 26 septembre déjà, il présente un projet (n° 4) au Conseil, qui sera approuvé le 20 novembre en Conseil général.

AEG, Cp Past. R 1

4. Ordonnances ecclésiastiques (1541) (AEG, Cp Past. R 1, p. 1), éd. dans S.D.G., t. 2, n° 794, p. 377.

Transcription

Au nom de Dieu tout puissant, nous syndics, Petit et Grand Conseil, avec notre peuple assemblé au son de trompette et grosse cloche, suivant nos anciennes coutumes, ayant considéré que c’est chose digne de recommandation sur toute les autres que la doctrine du saint Evangile de notre Seigneur soit bien conservée en sa pureté en l’Eglise chrétienne dûment entretenue, que la jeunesse pour l’avenir soit fidèlement instruite, l’Hôpital ordonné en bon état pour la sustentation des pauvres, ce qui ne se peut faire sinon qu’il y ait certaine règle et manière de vivre, par laquelle chacun état entende le devoir de son office. A cette cause, il nous a semblé avis bon que le gouvernement spirituel, tel que notre Seigneur l’a démontré et institué par sa parole, fût réduit en bonne forme pour avoir lieu et être observé entre nous. Et ainsi avons ordonné et établi de suivre et garder en notre ville et territoire la police ecclésiastique qui s’ensuit, comme nous voyons qu’elle est prise de l’Évangile de Jésus-Christ.

Les ordonnances ecclésiastiques définissent quatre ministères au sein de l’Eglise, ayant chacun un rôle bien déterminé: aux pasteurs la prédication et l’administration des sacrements, aux docteurs l’instruction de la jeunesse, aux anciens, ou commis, la discipline ecclésiastique et aux diacres la charité. Elles réglementent également les sacrements de la Cène et du baptême, ainsi que le mariage et la sépulture.

L’une des dispositions des ordonnances ecclésiastiques stipule «que les commis susdits dont il a été parlé s’assemblent une fois la semaine avec les ministres, à savoir le jeudi, pour voir s’il n’y a nul désordre en l’Eglise et traiter ensemble des remèdes quand il en sera besoin». C’est l’acte de naissance du Consistoire, sorte de tribunal des mœurs (n° 5).

En matière de compétence, le Consistoire a le droit d’excommunier les coupables en cas de fautes graves. En ce qui concerne les cas qui réclament une punition plus sévère, qu’elle soit pécuniaire ou corporelle, le Consistoire doit renvoyer l’affaire au Conseil, comme dans l’affaire qui suit (n° 6).

Le 22 janvier 1545, épuisé par une longue maladie, Jean Vachat se donne la mort. Son frère, Pierre Vachat, officier au service de Genève, part chercher Jean Calvin qui exhorte Jean Vachat à se repentir. Si aujourd’hui le suicide n’est plus un délit, pendant longtemps il a été considéré comme un crime, triple, à l’encontre de l’individu, de la société et de Dieu, résultant d’une intervention démoniaque. En cette qualité, il relevait de la justice pénale. Malgré la requête de son frère, Jean Vachat n’est pas enterré «au lieu accoutumé», mais au pied du gibet et «par l’exécuteur des malfaiteurs».

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1. Première mention de Jean Calvin dans les registres du Conseil de Genève (5 septembre 1536) (AEG, R.C. 30, fol. 51), éd. dans R.C. impr., n.s., t. I, p. 130. [Non reproduit]

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2. Bannissement de Jean Calvin et de Guillaume Farel (23 avril 1538) (AEG, R.C. 32, fol. 35v°). [Non reproduit]

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3. Lettre de Guillaume Farel et Jean Calvin au Conseil de Berne (27 avril 1538) (AEG, P.H. 1201 A/17). [Non reproduit]
Editée dans HERMINJARD, A.-L., 
Correspondance des Réformateurs dans les pays de langue française, recueillie et publiée avec d’autres lettres relatives à la Réforme et des notes historiques et biographiques, t. 4, n° 705, pp. 422-426.

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5. Description du Consistoire par François Bonivard (F. BONIVARD,
Advis et devis de l’ancienne et nouvelle police de Geneve, publié par G. REVILLIOD, Genève, 1865, pp. 153-155). [Non reproduit]

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6. Rapport de Jean Calvin sur le suicide de Jean Vachat, 23 janvier 1545 (le document original se trouve au Musée international de la Réforme). [Non reproduit.] 

Commentaire et transcription par S. CORAM-MEKKEY.

18. Le culte


1533-1538

Dès son retour à Genève en décembre 1533, Guillaume Farel se met à organiser le culte réformé. Sa liturgie, la plus ancienne en langue française, est parue à Neuchâtel quelque mois plus tôt (n° 1). Elle réglemente la célébration des sacrements de l’eucharistie et du baptême, ainsi que le mariage, la prédication et l’aide aux malades.

Lorsque Jean Calvin arrive à Genève en juillet 1536, l’Eglise naissante est encore dépourvue de structure. Il s’attelle dès lors à lui en donner une, avec l’aide de Guillaume Farel. Le 10 novembre déjà, ce dernier présente une série d’articles relatifs au « gouvernement de l’Eglise » au Grand Conseil. Adoptés en principe par celui-ci, les articles sont à nouveau examinés par le Petit Conseil le 16 janvier 1537. Outre l’application de l’excommunication et l’instruction de la jeunesse, ils réclament diverses mesures concernant la célébration du culte, notamment le chant des psaumes, la célébration hebdomadaire de la Cène et la communion des fidèles (n° 2).

En 1538, les Bernois veulent uniformiser le culte pratiqué dans les territoires romands soumis à leur domination et l’aligner sur le leur, et cherchent à convaincre Genève de s’y conformer également. A cette fin, ils organisent un synode à Lausanne au 31 mars. Le 15 avril, ils écrivent aux autorités genevoises pour les informer des conclusions du synode et leur demander de les approuver (n° 3). Le Petit Conseil adhère aux «cérémonies bernoises» le 19 avril, suivi par le Grand Conseil le 22 avril et par le Conseil général le jour suivant.

AEG, P.H. 1201 A/14

3. Conclusions du synode de Lausanne (1538) (AEG, P.H. 1201 A/14) .

Transcription

Nobles, magnifiques Seigneurs, singuliers amis, très chers et feaux combourgeois,

Puisqu’avez désiré de vous faire conformes quant aux cérémonies avec nous, [nous] vous voulons bien notifier la conclusion du seine [synode] dernièrement tenu à Lausanne, qu’est tel que tous les ministres de nos pays conquêtés [conquis] ont accordé de baptiser les enfants sur le baptistère. Secondement, de user en la Cène de notre Seigneur du pain non fermenté, toutefois la forme d’icellui libéré, petite ou grande. Tiercement, d’observer les quatre fêtes que nous avons instituées. A cette cause, pour entretènement [entretient] de union entre votre et notre Eglises, vous prions et admonestons fraternellement d’accepter même forme et avec vos ministres, maître Calvin et Farel, amiablement sur ce convenir, auxquels nous avons aussi écrit pour ce même affaire, espérant que, puis bien qu’il aient fait quelque difficulté, ils aviseront du mieux pour conformité des dites Eglises, ce que Dieu par sa grâce permette. Datum XV aprilis 1538.

L’avoyer et Conseil de Berne.

1541-1544

Rappelé à Genève en 1541, Jean Calvin expose au Conseil dès son arrivée, le 13 septembre, la nécessité de pourvoir l’Eglise d’une constitution et de mettre cette dernière par écrit. Présentées au Petit Conseil le 26 septembre, révisées le 29, les ordonnances ecclésiastiques régissant le «gouvernement» de l’Eglise sont approuvées en Conseil général le 20 novembre. Outre la répartition des compétences religieuses en quatre ministères, elles codifient les pratiques liturgiques en définissant les temps et lieux de la prédication (n° 4 et n° 5), ainsi que la célébration du baptême, du mariage et de la Cène. Cette dernière devra être célébrée à Noël, à Pâques, à Pentecôte et le premier dimanche de septembre. Tout comme ils l’ont fait dans les Articles, les ministres, poussés par Jean Calvin, insistent dans les ordonnances ecclésiastiques sur la nécessité d’introduire le chant dans la liturgie et d’y initier le peuple dès l’enfance.

Si au moment où il revient à Genève en septembre 1541, c’est encore La maniere et fasson de Guillaume Farel qui est en usage, Jean Calvin œuvre pour la remplacer et rédige un nouveau formulaire liturgique. Elle paraît en 1542 sous le titre La forme des prieres et chantz ecclesiastiques, avec la maniere d’administrer les Sacremens, & consacrer le Mariage : selon la coustume de l’Eglise ancienne. Dans l’épître au lecteur, il revient sur l’importance du chant dans la liturgie. La première partie de l’ouvrage, consacrée à cette question, contient trente-cinq psaumes ainsi que le cantique de Siméon, le Notre Père, le Credo et le Décalogue, avec leur mélodie, versifiés en langue vulgaire (français) par Jean Calvin et surtout par Clément Marot (n° 6).

L’établissement durable de la religion nouvelle doit passer par la diffusion des idées réformées auprès de la jeunesse (n° 2 et n° 4). Pour inculquer aux jeunes l’essence du protestantisme, Jean Calvin a élaboré un catéchisme, publié en français à Genève au début de l’année 1537, sous le titre Instruction et confession de foy dont on use en l’Eglise de Geneve, qui reprend, en la résumant, la matière de son Institution de la religion chrestienne. En 1542, il est remplacé par Le Catechisme, c’est à dire le formulaire d’instruire les enfans en la Chrestienté, faict en maniere de dialogue, ou le Ministre interrogue, et l’enfant respond, avec un plan nouveau, conçu sous forme de questions/réponses (n° 7).

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1. La manière et fasson… de Guillaume FAREL (1533) (BPU, Bd 1474 Rés.) [Non reproduit]

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2. Articles des ministres (1537) (AEG, P.H. 1170). [Non reproduit]
Edités dans HERMINJARD, A.-L., 
Correspondance des Réformateurs dans les pays de langue française, recueillie et publiée avec d’autres lettres relatives à la Réforme et des notes historiques et biographiques, t. 4, n° 602, pp. 154-166.

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4. Ordonnances ecclésiastiques (1541) (AEG, Cp Past. R 1, pp. 1-15). [Non reproduit]
Edité dans S.D.G., t. 2, n° 794, pp. 377-390.

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5. L’église Saint-Pierre au XVIe siècle, gravure de 1822 (AEG, Archives privées 247/XII/I). [Non reproduit]

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7. Le catéchisme de Jean CALVIN (1542). J. CALVIN,
Le catéchisme de l’Eglise de Genève, Genève, 1883, p. 2 et pp. 114-117. [Non reproduit]


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